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il avait parcouru bien des pays, bien des forêts ; mais un jour, fatigué des peines et des injustices d’ici-bas : « Tout va de mal en pis, s’écria-t-il ; la race des hommes se dégrade, la mousse disparaît d’année en année, la chasse des bêtes fauves perd son antique honneur ; au contraire, le vol, la ruse, toutes les iniquités vont toujours croissant parmi les hommes. Je ne veux pas vivre plus longtemps sur cette misérable terre, j’irai me chercher dans le ciel un séjour meilleur. » Après avoir parlé ainsi, il ordonna à ses deux femmes de leur préparer à tous trois des vêtemens, de préparer aussi de nouveaux harnais pour les rennes, et il leur défendit expressément d’y employer aucune étoffe qui eut déjà servi. Quand tout fut prêt, il s’enleva dans les airs sur un traîneau attelé de quatre rennes vigoureux. Les deux femmes le suivaient, chacune sur un attelage particulier. Arrivés à la moitié du chemin, les rennes d’Urier commencèrent à trébucher et à s’incliner vers la terre. Urier, soupçonnant la cause du mal, demanda à ses femmes si, conformément à son ordre, elles avaient composé seulement d’étoffes neuves et leurs vêtemens et les harnais des rennes. La seconde femme avoua qu’elle avait cousu dans sa robe un petit ruban déjà employé à un autre usage, et en même temps elle le suppliait, les yeux pleins de larmes, de la laisser retourner sur la terre, où elle avait laissé ses deux fils. Elle aimait mieux supporter avec ses enfans toutes les misères d’ici-bas que de jouir sans eux de la félicité du ciel. Attendri par ces prières, Urier permit à sa femme de redescendre sur la terre, puis il repartit pour le ciel avec son autre femme, et y trouva tout ce que l’homme peut désirer, de magnifiques troupeaux de rennes, des tapis de mousse touffue, des bêtes fauves dans les forêts et les plaines… »


La religion des Samoyèdes rappelle celle des Ostiakes. Au-dessus des tadebsios, il y a le dieu unique et supérieur appelé Num. Num habite dans les airs ; c’est de là qu’il envoie la pluie et la neige, le tonnerre et les éclairs, le vent et la tempête ; quelquefois on le confond avec le ciel, souvent même avec toute la nature ; il est le soleil, il est la voûte étoilée, il est la terre et l’océan. M. Castrén a remarqué cependant que ces idées grossières ont déjà été transformées sur plusieurs points par l’influence chrétienne. Il y a plusieurs tribus de Samoyèdes qui adorent dans ce dieu Num une intelligence libre, une providence suprême, un esprit créateur et conservateur du monde. Il sait et voit tout ce qui se passe sur la terre ; lui seul défend les rennes contre les bêtes féroces, et c’est pour cela qu’on l’appelle Num, protecteur des troupeaux. Quand un homme se conduit bien, Num lui envoie des rennes, lui procure des chasses abondantes, et le conduit doucement à une vieillesse heureuse ; le pécheur au contraire vivra dans la misère et mourra jeune. Comme les Samoyèdes ne croient pas à l’immortalité de l’âme, ils sont persuadés que toutes les actions de l’homme trouvent leur récompense ou leur punition dès cette vie, et de là, malgré la grossièreté de leurs mœurs, une singulière horreur du péché ; seulement l’habitude est