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d’indications précises, n’en mérite pas moins d’être consigné, — un jour, quand on se fut assuré en mille occasions que les Jakoutes possédaient ce christianisme naturel dont je viens de parler, un ukase impérial proclama que la bonne et loyale nation des Jakoutes était jugée digne d’entrer dans l’église russe, qu’elle ferait partie dorénavant de la famille chrétienne du tsar et jouirait des mêmes privilèges que ses autres enfans.

Reste toujours la question de savoir si cette conversion ainsi imposée par un décret pourra produire des résultats. Tous les Jakoutes sont-ils entrés dans cette église qui s’est ouverte pour eux ? Il serait difficile de l’affirmer ; ce qui paraît démontré du moins, c’est que leurs progrès dans la civilisation deviennent chaque année plus rapides. Les Jakoutes sont actifs et industrieux ; M. Erman les a vus façonner les métaux avec une singulière habileté. La polygamie, autorisée par la religion nationale, a presque entièrement disparu ; on n’en retrouve les traces que chez les Jakoutes du nord, chez ceux qui confinent aux Saraoyèdes, et qui par conséquent ne subissent pas l’action des Russo-Sibériens. Quant aux Jakoutes des villes, ils sont déjà à moitié russes et presque tous sont chrétiens. La ville de Jakutsk, qui est le centre de leur territoire, possède une population de quatre mille âmes, issue presque tout entière du mélange des Jakoutes et des Russes ; les Russes purs y sont extrêmement rares. Il y a deux petites écoles dans la ville, l’une pour les laïques, l’autre pour les jeunes gens qui se destinent au sacerdoce. Dans l’école des laïques, on n’apprend guère qu’à lire et à écrire le russe, la langue jakoute n’ayant pas encore trouvé un grammairien qui en réglât la syntaxe et l’orthographe ; malgré cela, ce sont surtout des enfans jakoutes qui fréquentent cette école. Ne sont-ce pas là des résultats importans ? Et si l’on songe que cette propagande des Russo-Sibériens s’exerce de tous côtés chez les Ostiakes, chez les Tonguses, chez les Samoyèdes eux-mêmes, si l’on songe que les voyageurs dont nous interrogeons les souvenirs ont vu seulement une partie de ces immenses contrées et quelques familles de ces tribus éparses, ne faut-il pas reconnaître que la conquête morale de la Sibérie, commencée il y a cinquante ans environ, a été presque aussi rapide que la victorieuse invasion de Jermak au XVIe siècle ?

Nous arrivons enfin dans les plaines de l’extrême nord, et ici c’est une race toute différente qui va s’offrir à nous. Les Ostiakes, les Tonguses, les Jakoutes, comme les Kirghises et les Kalmoucks, sont des peuples Tartares ou Mongols ; les Samoyèdes sont de race finnoise. Unis par les liens du sang aux Lapons, aux Karéliens, aux Murmanses, aux tribus de la Tundra, à maintes peuplades mixtes de la Russie du nord, ils habitent les points les plus septentrionaux de l’Europe et de l’Asie, et le long territoire qu’ils occupent s’étend