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Le khan des Kirghises, ainsi que le remarque M. Hansteen, connaissait l’étiquette russe. Quand les Russes ne veulent pas employer le titre d’excellence ni toute autre dénomination qui indique l’infériorité de celui qui parle, ils se servent seulement du nom de baptême, en y ajoutant le nom de baptême du père avec la terminaison vitch. Dschanger-Khan aurait pu se trouver embarrassé, car il ne savait pas de quel nom s’appelait le père de son hôte ; ce détail ne l’arrêta pas : il supposa que M. Hansteen portait le même nom que son père, et il l’appela de son autorité privée Christophe Christophorovitch. L’invitation reçue, M. Hansteen se mit en route. Les chameaux étaient déjà prêts, ainsi que tout le matériel des kibilkes, espèces de tentes ou plutôt de cabanes portatives qui se montent et se démontent, et sans lesquelles il serait impossible de parcourir les steppes. Ce n’est pas assez des chameaux et des kibitkes ; la steppe est plane comme la surface de la mer, et comme il n’y a ni maison, ni arbre, ni bruyère qui puissent servir d’indication aux voyageurs, il faut des guides exercés pour conduire la caravane. C’était effectivement une caravane tout entière. Soit que les Kirghises eussent profité de l’occasion, soit que les parens du prince kirghise eussent rassemblé tout ce monde pour faire honneur et prêter assistance à leur hôte, on eût dit qu’une tribu était en marche. M. Hansteen a pu faire pendant plusieurs jours une complète expérience de la vie nomade, et il en trace une description aussi précise que pittoresque. Le jour, les courses dans les traîneaux ; le soir, le travail des Kirghises pour organiser les kibitkes, les hommes qui clouent les planches, les femmes qui cousent les tapis, d’autres qui allument le foyer et mettent la cuisine en train ; puis le repas, le cercle autour du feu, la sentinelle au seuil de la kibitke, l’homme de garde occupé, à balayer la neige, ce bruit, ce mouvement, la prestesse et la dextérité des enfans de la steppe, tout cela est rendu avec infiniment d’habileté dans les tableaux du savant norvégien.

Après divers incidens pittoresques, nos voyageurs, arrivés à la dernière station, y trouvent un traîneau magnifique, attelé de deux chevaux kirghises, qui devait les conduire à la résidence du khan. Les aïeux de Dschanger-Khan, fidèles à la vie nomade de leurs sujets, passaient l’hiver et l’été dans leurs kibitkes. Son père, le premier, introduisit des habitudes nouvelles, et se fit construire une maison de bois qui le protégeait contre le froid dans la saison rigoureuse. Dschanger-Khan a aussi une résidence d’hiver, une jolie et comfortable habitation, présent du tsar Nicolas. Dschanger-Khan et l’une de ses femmes, la sultane Fatime, avaient fait en 1825 le voyage de Saint-Pétersbourg afin d’assister aux fêtes du couronnement, et le tsar lui en a témoigné en maintes occasions une gratitude