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les représentans de Catherine, ayant grande pitié des prisonniers russes de Pékin, fort affligés surtout de les savoir privés de toute assistance religieuse, obtinrent que les murs de Pékin s’ouvrissent tous les dix ans à une mission de l’église gréco-russe qui irait porter aux captifs les consolations de la foi. Il restait bien peu de prisonniers russes entre les mains des Chinois quand cet article fut signé, il y a longtemps qu’il n’en reste plus un seul, et tous les dix ans la mission de l’église orthodoxe, accompagnée de diplomates et de négocians, fait son entrée solennelle à Pékin. D’un côté, une défiance hautaine, une gravité cérémonieuse, de l’autre beaucoup de souplesse et de ruse, voilà ce qu’on rencontre d’abord dans ces premières relations des Chinois et des Russes au XVIIe siècle.

Aujourd’hui encore, si l’on ne fait attention qu’au texte des traités, si l’on ne consulte que les règlemens de police affichés sur les frontières, il n’y a presque rien de changé dans les rapports des deux empires. Les marchands russes ne peuvent conférer avec les chinois que sur un point déterminé. Il s’en faut bien cependant que cette barrière où s’enferme la Chine soit aussi efficacement gardée sur les confins de la Russie d’Asie que sur les côtes de l’Océan-Pacifique. M. Hill raconte fort plaisamment toutes les peines qu’il a eues pour pénétrer à Maimatchin, ville chinoise située à l’extrémité de l’empire et séparée par un terrain neutre de la ville russe de Kiachta. Les guides auxquels il s’adresse ne comprennent rien à son audace ; on cherche à le détourner de son projet par les prédictions les plus sinistres ; ce qui pouvait lui arriver de plus heureux était d’être pris, garrotté, mis en cage comme un perroquet et rapporté ainsi à des de chameau aux autorités de Kiachta (put into cages like parrots, and brought upon camel’s back to be surrendered to the authorities of Kiachta). Il a pourtant réussi à y pénétrer, et une fois dans cette ville redoutable, il n’a guère vu que d’indolens personnages assis ou couchés à terre, une longue pipe à la main, et plongés dans un majestueux silence. M. Hansteen et M. Erman ont été aussi à Maimatchin ; ils y ont trouvé un accueil hospitalier dans la maison même du gouverneur. Bien plus, le traité de 1727 a beau défendre aux négocians russes de franchir le point qu’on leur assigne, il arrive presque tous les ans que des caravanes de marchands, parties d’Irkutsk, de Kiachta ou de Selenginsk, s’avancent hardiment jusque dans les parties les plus inaccessibles de l’empire. Lorsque notre vaillant missionnaire lazariste, le père Hue, a publié son Voyage dans la Tartarie et le Thibet, l’Europe savante a lu son récit avec une curiosité avide ; eh bien ! ce mystérieux pays où si peu d’Européens sont entrés, les Russo-Sibériens le visitent régulièrement et entretiennent avec lui un commerce assidu. Que leur faut-il pour accomplir ce