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sont enrégimentés ; les Ostiakes, les Tonguses, les Jakoutes, les Samoyèdes, mènent encore une vie errante et libre dans leurs déserts de glace, mais il semble qu’ils soient déjà plies à la discipline des tsars. Soit que les Cosaques les aient assouplis peu à peu, comme l’éléphant apprivoisé apprivoise l’éléphant sauvage, soit que l’influence plus bienfaisante de la population russo-sibérienne ait pénétré dans leurs mœurs, soit enfin que le génie naturel de leur race offre un mélange d’indolence et de bonté, il est impossible de ne pas réfléchir aux ressources que la Russie trouverait chez ces tribus le jour où elle aurait besoin de faire appel à toutes les forces de l’empire. Ce sont toutes ces questions de politique et d’histoire que les études ethnographiques de nos guides évoquent sans le vouloir dans notre intelligence. Encore une fois, ils ne cherchent pas à les résoudre, ils ne font que provoquer notre esprit et fournir à nos méditations des élémens précieux ; utile travail avec des observateurs si pénétrans et si lucides ! Je reprends leur narration au point où je l’ai laissée, et je vais parcourir avec eux ces deux Sibéries si différentes, des frontières de la Chine aux côtes de l’Océan.


I. — RUSSES ET CHINOIS. — BOUDDHISTES SIBÉRIENS. — KIRGHISES ET KALMOUCKS. — ORENBOURG. — ASTRAKHAN. — LE FEU ÉTERNEL ET LES DERNIERS DISCIPLES DE ZOROASTRE.

« Quand vous aurez visité Tobolsk et Irkutsk, les deux capitales du centre, revenez par les frontières de la Chine et de la Perse, c’est la route la plus belle, c’est la partie la plus intéressante de toutes nos possessions asiatiques. » Ainsi parlait à M. Hansteen l’ancien gouverneur-général de la Sibérie, M. le comte Speranski. M. Hansteen n’a pas négligé cette indication ; M. Erman aussi, bien qu’il fût décidé à sortir de la Sibérie par Ochotsk, a fait une excursion assez longue du côté de ces villes si curieuses qui gardent la frontière chinoise ; M. Hill enfin, suivant l’itinéraire de M. Erman, a visité Selenginsk, Kiachta et Maimatchin, avant de remonter vers le Kamtchatka et le Groenland. Tous les trois ont pu apprécier dès les premiers jours du printemps la merveilleuse fécondité du sol. « C’est surtout en Sibérie, dit M. Hill, — et il revient plusieurs fois sur ce point, — c’est surtout en Sibérie que j’ai admiré la bienveillance de la nature et cet esprit de parfaite justice qui préside à ses libéralités. Après les sept ou huit mois de privations qu’elle impose aux peuples de ces contrées, on dirait qu’elle veut les dédommager dans le cours de la belle saison par des compensations inouies. Occupé pendant les deux tiers de l’année à se défendre contre le froid, l’habitant de la Sibérie méridionale, dès que l’été a fondu ses glaces, n’a plus qu’à