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montreront que ce sont là des contrées absolument différentes. Nous croyons que la Sibérie des frontières chinoises, aussi bien que les vastes plateaux inclinés vers la Mer-Glaciale, sont un même pays, affreux, misérable, abandonné de Dieu et des hommes, digne séjour d’une race maudite et inaccessible à la civilisation ; nos guides sont émerveillés de cette Sibérie inférieure où les rigueurs de l’hiver sont si largement compensées par les merveilles de l’été et l’inépuisable fertilité du sol. Les Russo-Sibériens cultivent avec amour ces plaines privilégiées ; des races nomades parcourent avec leurs troupeaux les pâturages des steppes, et façonnées déjà au travail, quelques-unes d’entre elles servent d’intermédiaire entre l’extrême Orient et les sociétés européennes. Rien de plus intéressant que les rapports des Russes et des Chinois sur la frontière ; rien de plus pittoresque et de plus vif que le tableau de ces tribus tartares, Bouriates, Kirghises, Kalmoucks, les unes attachées au culte de Mahomet ou à celui de Bouddha, les autres converties à la religion gréco-russe. Mahométanes ou bouddhistes, toutes ces peuplades s’associent déjà à l’œuvre de la civilisation, en apportant sur les marchés russes les productions de la Chine. C’est aussi par le sud-ouest de la Sibérie comme par ses possessions transcaucasiennes que la Russie enveloppe la Perse ; quelles lumières jetteront çà et là ces véridiques peintures ! que de renseignemens précieux sur les ressources de l’empire des tsars ! Pendant que l’Europe libérale déjoue les projets des Russes sur l’empire ottoman, il y a un travail lent et secret qui s’accomplit sur ces frontières mystérieuses de l’Asie centrale. Nos voyageurs n’ont pas eu à s’inquiéter de ces problèmes : ils ont visité la Sibérie à une époque où la question d’Orient n’était pas encore une question de vie et de mort pour la liberté occidentale ; leurs peintures n’en seront que plus éloquentes, et c’est aujourd’hui surtout qu’il convient de mettre en lumière ces renseignemens rassemblés sans parti pris et sans passion dans des années plus calmes.

Rien ne ressemble moins à la Sibérie méridionale que les immenses plateaux du nord habités par les Ostiakes et les Tonguses, les Jakoutes et les Samoyèdes. N’allons pas croire toutefois que les sauvages peuplades de la Sibérie supérieure aient échappé à l’influence des Russes ; là aussi, comme dans le sud, il y a une œuvre de transformation qui s’opère d’heure en heure. Ces hommes qui se précipitèrent en masse sur les pas de Gengis-Khan, ces cavaliers dont les huilas épouvantables firent trembler l’Europe du XIIIe siècle, les voyageurs les plus récens les signalent comme une race d’une singulière douceur. S’il y a un trait qui domine chez eux, c’est une étonnante facilité de soumission. Enveloppés de stations de Cosaques, ils deviennent Cosaques à leur tour. Les Baschkirs de l’ouest