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comprendre pourquoi Hegel a admis, en désespoir de cause, que la contradiction est la loi universelle de l’esprit humain. Mais non ; au lieu d’opposer à la logique insensée de Hegel la vieille logique, qui est la bonne, vous avez voulu lui opposer une logique nouvelle. C’est remplacer une erreur par une erreur, c’est ôter une maladie à votre prochain pour lui en donner une autre.

Votre nouvelle logique est aussi vaine que celle de Hegel. S’il n’a pas réussi à prouver l’identité de l’être et du néant, du fini et de l’infini, vous ne réussissez pas mieux à prouver l’identité de l’induction et du calcul infinitésimal, l’identité de tout cela et de la métaphysique. Le système de Hegel, avec ses oppositions perpétuelles, tend à tout diviser ; votre système, avec ses analogies fantastiques, tend à tout confondre. Le mot qu’il faut inscrire sur la logique de Hegel, c’est contradiction ; il faut graver sur la vôtre : confusion. À Dieu ne plaise cependant que j’en use avec vous comme vous en usez avec Hegel, et que je méconnaisse la pureté de vos intentions ! Vous avez senti les maux que souffre de nos jours l’esprit humain ; c’est le signe d’un esprit pénétrant et d’un cœur élevé. Vous avez travaillé à chercher le remède, et, l’ayant cru trouver dans certaines idées, vous vous êtes enflammé pour elles d’ardeur et d’enthousiasme ; c’est d’un bon exemple. Vous avez mal réussi ; quelque autre sera plus heureux. Votre idée de ramener les savans à la philosophie est juste. Cette union s’est accomplie au XVIIe siècle ; il faut y revenir. Quant à cette autre idée de ramener les philosophes à la religion, elle a plus de portée encore ; mais les philosophes n’ont pas attendu votre appel. La philosophie, et le siècle avec elle, retourne à la religion, et c’est encore un point où l’exemple du XVIIe siècle est admirable. Malheureusement vous demandez à l’esprit humain, non plus de revenir à la religion, mais de se mettre sous le joug de la théologie. C’est trop. Vous changez d’idéal. Il ne s’agit plus de nous ramener au Discours de la Méthode, mais à la Summa theologiæ. Et sans doute la Somme est un magnifique monument, l’esprit humain y a grandi ; mais un jour il s’y est trouvé à l’étroit : c’est que, si superbe que fût l’édifice, l’hôte était encore trop grand pour la maison. N’essayez pas de le rapetisser : laissez cette tâche à ceux qui ne comprennent rien à la grandeur de l’esprit nouveau ; mais vous qui aimez les sciences, qui vivez avec Leibnitz et Newton, vous seriez un avocat suspect d’une cause à jamais perdue. Descartes, ce grand rénovateur que vous admirez, a sécularisé la science : il a été à la fois libre penseur et homme religieux, Permettez-nous de rester fils de Descartes : l’esprit moderne est cartésien.


Émile Saisset.