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non-seulement en philosophie, mais en physique, en astronomie, que par l’inspiration théologique. Alors comment se fait-il qu’il y ait eu de grands physiciens et de grands astronomes avant le christianisme et en dehors de son influence ? Étaient-ce de médiocres génies que Ptolémée, Hipparque, Archimède, Aristarque de Samos ? Platon n’était-il pas à la fois géomètre, astronome et philosophe incomparable ? Le père Gratry me dira peut-être que Platon appartient au christianisme en sa qualité de premier père de l’église : je n’y contredis pas, bien que cette manière d’entendre l’église sente un peu le rationalisme ; mais faudra-t-il aussi ranger Aristote parmi ces chrétiens d’avant Jésus-Christ ? J’imagine que non. Si jamais grand esprit a été loin du mysticisme, c’est celui-là, et on ne voit pas que cela l’ait empêché de créer l’histoire naturelle.

Copernik était chrétien, et il a dédié au pape Paul III son De revolutionibus orbium cœlestium ; mais, de bonne foi, était-ce dans la Bible qu’il avait trouvé le nouveau système du monde ? Je ne doute pas que Descartes ne fût un chrétien sincère et convaincu, et il ne m’appartient pas de soulever le moindre doute sur le christianisme de Leibnitz ; mais est-il soutenable que le christianisme ait inspiré le système des tourbillons et l’harmonie préétablie ? Certes, si la théologie conduisait les pensées de Descartes, il faut convenir que c’était en se cachant de lui, car il avait pris toutes les précautions possibles pour reconduire. Mais le père Gratry a toute une théorie sur l’origine des sciences modernes ; elles ne doivent leur naissance ni à Descartes, ni à Huyghens, ni à Fermat. Leurs véritables pères, ce sont les grands saints et les grands théologiens du XVIe siècle, dont l’influence mystérieuse a suscité toutes les découvertes de l’âge nouveau. Quoi ! c’est du concile de Trente qu’est parti le mouvement moderne ? quoi ! ce sont des saints qui ont trouvé la loi de la réfraction, le télescope, les phases de Vénus, les satellites de Jupiter ? Quels saints ? je vous prie ; quels théologiens ? où, quand et comment ? Le père Gratry ne les nomme pas ; cependant il ne faudrait pas le trop presser ni le mettre au défi. Si vous croyez l’embarrasser en lui demandant quel est le théologien du XVIe siècle qui a découvert la géologie, il vous dira que la géologie était connue, bien avant le XVIe siècle, d’un certain personnage qui habitait un monastère des bords du Rhin. Et quel est ce respectable ancêtre de Léopold de Buch, de Saussure et de Cuvier ? C’est sainte Hildegarde. Quoi, cette abbesse se livrait à des recherches sur les ossemens fossiles ? Non ; elle priait humblement Dieu, et Dieu, pour récompenser son humilité, lui donnait la science infuse. En doutez-vous ? Lisez ces paroles de la sainte, traduites par le père Gratry : « Voici ce que le Seigneur m’a dit : Les roches ont été en fusion dans le feu et