Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 11.djvu/927

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Platon, des Aristote et des rationalistes modernes ? Un Dieu sans rapport avec la créature humaine, un Dieu abstrait Le vrai Dieu est un Dieu vivant, et pour connaître ce Dieu, la raison est impuissante. Il lui faut les clartés mystérieuses de la foi, achetées au prix de l’humilité. Et qu’est-ce que l’humilité ? C’est le sentiment profond que la créature a de sa faiblesse, c’est l’être fini se courbant devant l’être des êtres ; c’est quelque chose enfin d’analogue à ce procédé scientifique par où le physicien et le géomètre passent du fini à l’infini.

Ainsi donc l’induction qui élève Newton à la loi générale de l’univers, le calcul qui fait pénétrer Leibnitz dans le mystère de la génération des grandeurs, la méthode qui conduit le métaphysicien de la cause finie à la cause des causes, ces procédés ne sont que des essais imparfaits et comme des figures de l’acte sublime qui constitue la religion, et par lequel s’ébauche dans cette vie, en attendant qu’elle s’accomplisse parfaitement dans l’autre, l’union du fini et de l’infini.

La poésie, l’art en général, n’ont pas d’autre essence. L’enthousiasme du poète, le ravissement du mystique, l’essor ardent de l’artiste vers l’idéal, tout cela n’est que la loi universelle de l’esprit humain, l’ascension du fini vers l’infini. Les Raphaël et les Michel-Ange, les Dante et les Milton sont animés du même souffle qui emporte les Kepler et les Galilée, les Descartes et les Leibnitz, et tous ne font, poètes, théologiens, savans, que ce que fait la pauvre femme dont Fénelon enviait l’humble adoration : ils s’élèvent du plus profond de leur nature misérable et finie vers le principe de toute perfection, de toute beauté, de toute félicité ; ils prient Dieu.

Tel est le système du père Gratry ; voilà du moins la pensée fondamentale de sa logique et de toute sa nouvelle entreprise. Commençons par reconnaître que le père Gratry a un sentiment énergique et vrai des besoins du siècle, et qu’il a tracé une peinture exacte de l’état des intelligences. Nous tombons d’accord que le divorce de la philosophie et des sciences est un grand mal et que leur réconciliation est la chose du monde la plus désirable, la plus urgente et la plus nécessaire. Nous reconnaissons aussi avec le père Gratry, non-seulement qu’il y a dans le fond des choses un accord général entre l’esprit du christianisme et l’esprit de la bonne philosophie, mais encore que la philosophie et la théologie ont des points de contact naturels et peuvent se rendre des services réciproques.

En général, ces pensées d’harmonie entre les sciences, la philosophie et le christianisme, ce prêtre passionné pour la physique et la géométrie, qui lit Cuvier, Humboldt et Laplace, qui adore la métaphysique et fait ses délices de Platon, qui étudie la théologie en moraliste et en philosophe, qui espère et qui annonce un prochain grand siècle, ce sentiment élevé, ce souffle généreux, tout cela nous inspire le plus grand respect et la plus vive sympathie.