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a été le maître du plus jeune. Le disciple est-il resté fidèle ? C’est une autre question, mais il est certain que le père Gratry est sorti de ce groupe d’esprits actifs, inquiets et distingués que M. Bautain réunissait, il y a vingt-cinq ans, autour de sa chaire de Strasbourg. Depuis lors, le petit troupeau s’est dispersé, mais il n’a pas trop mal fait son chemin dans le monde : M. de Bonnechose occupe un siège épiscopal, M. l’abbé Cari gouverne à Juilly la maison où vécut Malebranche, et tandis que le père Gratry écrit et médite à l’Oratoire, M. Bautain enseigne à la Sorbonne avec le plus grand éclat et un incontestable talent.

Nous n’avons point dessein de raconter l’histoire de l’école de Strasbourg, et, s’il faut l’avouer, nous inclinons à penser que cette école peut parfaitement se passer d’histoire ; mais il serait injuste d’étendre cette indifférence jusqu’aux publications du père Gratry. Ce dernier venu des disciples de M. Bautain nous paraît valoir à lui seul plus que tous les autres, et nous ajouterions volontiers plus que le maître lui-même.

Ce n’est pas que M. l’abbé Bautain ne soit un homme d’un grand talent et un personnage considérable, mais il lui manque la qualité essentielle du penseur et de l’écrivain, l’originalité, et, chose singulière, il a suscité un disciple qui a des idées et qui sait écrire. Comment expliquer cela ? Ne serait-ce pas que l’influence de certains chefs d’école tient souvent à leur caractère plus qu’à leur talent, et que, pour dédommager ces natures ardentes et impérieuses d’une certaine stérilité d’idées, la Providence leur a donné le privilège d’attirer à elles des esprits plus féconds ?

Au surplus, le temps où le père Gratry se rangeait humblement à la suite de M. Bautain est déjà loin de nous. Sans vouloir deviner les vicissitudes que leur intimité philosophique a pu traverser depuis la dissolution du faisceau de Strasbourg jusqu’à la récente résurrection de l’Oratoire, nous croyons qu’à l’heure qu’il est, ni le maître n’avouerait les hardies spéculations de son ancien disciple, ni le disciple ne serait disposé à s’incliner devant l’autorité de son ancien maître. Il faut donc considérer le père Gratry comme un esprit à part, qui a pu subir des influences, mais qui ne relève plus que de lui-même.

Aussi bien l’ambition du nouvel oratorien n’est pas médiocre. A Strasbourg, on ne songeait guère qu’à une réforme dans les études cléricales ; à l’Oratoire, on vise tout autrement haut. Il ne s’agit pas moins que de régénérer la philosophie, de faire circuler parmi toutes les sciences humaines une sève plus puissante, de porter enfin jusque dans l’immuable théologie le mouvement et le progrès. Pour opérer ces merveilles, sur quoi compte le père Gratry ? Sur sa Logique. Est-il