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mort de Pompeius. De tous les autres du parti contrère, il en parle si indifféramment, tantost nous proposant fidèlement leurs actions vertueuses, tantost vitieuses, qu’il n’est pas possible d’y marcher plus consciencieusement. S’il dérobe rien à la vérité, j’estime que ce soit parlant de soi, car si grandes choses ne peuvent pas être faictes par lui qu’il n’y ait plus du sien qu’il n’y en met. C’est ce livre qu’un général d’armée devroit continuellement avoir, devant les yeus pour patron, comme faisoit le maréchal Strozzi, qui le savoit quasi par cœur, et l’a traduit; — non pas je ne sais quel Philippe de Commines, que Charles cinquième avoit en pareille recommandation que le grand Alexandre avoit les euvres d’Homère, (et que) Marcus Brutus (avoit) Polybius l’historien. »

Plusieurs passages de ce morceau ont été reportés par Montaigne dans les Essais, où l’on trouve (liv. II, ch. 33) : « Quand je considère la grandeur incomparable de cette ame, j’excuse la victoire de ne s’estre pu despestrer de luy, voire en cette très injuste et très inique cause; » et ailleurs (liv. II, ch. 10) : « Tant de grandes choses ne peuvent avoir été exécutées par luy qu’il n’y soit allé beaucoup plus du sien qu’il n’y en met. » Nous avons ici le premier jet de son admiration et la première vue de son jugement. Le génie lucide et la hauteur d’âme de César lui apparaissent en même temps et se confondent pour ainsi dire dans une même impression.

On savait peu de choses sur la vie et sur la famille de Montaigne. M. Payen a trouvé, dans d’autres pièces également écrites de la main de Montaigne, es renseignemens, des dates et des faits qui devront désormais entrer dans la biographie de cet homme célèbre. Nous y apprenons que Montaigne fut, en 1577, nommé par Henri de Bourbon, roi de Navarre, gentilhomme de sa chambre; qu’en 1584, ce prince le vint voir à Montaigne, et y fut deux jours « servi de mes gens sans aucun de ses officiers; il n’y souffrit ni essai ni couvert, et dormit dans mon lit... Je lui fis eslancer un cerf en ma forêt qui le promena deux jours. » En 1588, étant à Paris, « je fus preins prisonnier par les capitènes et le peuple de Paris; c’étoit au temps que le roi en étoit mis hors par M. de Guise; fus mené en la Bastille, et me fut signifié que c’étoit à la sollicitation du duc d’Elbeuf et par droit de représailles au lieu d’un sien parant gentilhomme de Normandie que le roy tenoit prisonnier à Rouen. » La reine-mère obtint que Montaigne fût remis en liberté le soir du même jour. Ces faits, qui ont un intérêt véritablement historique, étaient totalement ignorés. M. Payen possède un grand nombre de documens qu’il utilisera sans doute quelque jour dans une édition complète de Montaigne.


LOUIS BINAUT.


V. DE MARS.