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bonne administration de la fortune publique. Nous voulons nous borner à signaler la publication d’un livre qui mériterait peut-être un examen plus approfondi, et qui sera accueilli avec intérêt même par les partisans de la protection commerciale. La question du libre échange, si ardemment traitée par M. Michel Chevalier dans d’autres écrits, et à un point de vue qui a pu sembler parfois contestable, tient en effet peu de place dans le premier volume du Cours.


C. LAVOLLEE.


UNE PAGE RETROUVEE DES ESSAIS DE MONTAIGNE.[1]. — M. le docteur Payen, un de nos bibliophiles les plus distingués, amateur passionné de Montaigne, et qui, depuis trente ans, s’occupe de recherches sur la personne, la famille et les écrits de l’auteur des Essais, vient de publier une brochure pleine de renseignemens tout à fait neufs sur son auteur de prédilection. On y trouve, entre autres, une page précieuse à plus d’un titre. Sur un exemplaire des Commentaires de César, Montaigne avait écrit en marge, selon sa coutume, des annotations dont le nombre s’élève à trois cent soixante-huit, et que M. Payen a presque toutes déchiffrées, quoiqu’elles eussent été en partie tronquées par le relieur. Sur une page de garde, Montaigne avait encore écrit ces mots : Achevé de lire ces livres des guerres de Gaule le 21 juillet 1578 ; enfin vient une page entière autographe, qu’il avait en quelque sorte jetée d’inspiration en finissant de lire l’ouvrage de César. Ce morceau rend vivement l’impression que la lecture des Commentaires avait laissée dans l’esprit de Montaigne. Nous allons le rapporter comme l’appréciation prime-sautière d’un si bon juge ; on y remarquera en même temps une expression un peu dédaigneuse sur Philippe de Commines, qu’il avait pourtant jugé plus favorablement dans les Essais. En voici la copie exacte, sauf la ponctuation et les abréviations qui en auraient rendu la lecture trop difficile, et que nous modifions légèrement :

« Somme (en somme), c’est César un des plus grans miracles de nature ; si elle eut volu ménager ses faveurs, elle en eut bien faict deus pièces admirables, — le plus disert, le plus net et le plus sincère historien qui fut jamais, car en cette partie il n’en est nul Romain qui lui soit comparable, et suis très aise que Cicero le juge de même, — et le chef de guerre, en toutes considérations, des plus grans qu’ele fit jamais. Quand je considère la grandeur incomparable de cette ame, j’excuse la victoire de ne s’estre pu défaire de lui, voire en cette très injuste et très inique cause. Il me semble qu’il ne juge de Pompéius que deus fois (208, 324) ; ses autres exploits et ses conseils il les narre naïfvement, ne leur dérobant rien de leur mérite, voire parfois il lui prête des recommandations de quoi il se fût bien passé, comme lorsqu’il dit que ses conseils tardifs et considérés étoient tirés en mauvese part par ceus de son armée, car par là il semble le vouloir décharger d’avoir doné cette miserable bataille, tenant César combattu et assiégé de la faim (319). Il me semble bien qu’il passe un peu legièrement ce grand accidant de la

  1. Documens inédits sur Montaigne, recueillis et publiés par le docteur J.-F. Payen. Tiré à 100 exemplaires, chez Jannet, rue des Bons-Enfans.