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intéressent l’équilibre des relations sociales, et, dans ses détails les plus variés, le bien-être individuel. Peut-être le domaine de l’économie politique est-il trop vaste pour être strictement défini; peut-être aussi le vulgaire ne se rend-il pas compte des bienfaits d’une science qui, pour le mieux servir, se rapproche trop de lui. Quoi qu’il en soit, méconnue par les uns, attaquée par les autres, l’économie politique se voit obligée de lutter soit contre l’indifférence, soit contre une hostilité déclarée, d’où il suit que son enseignement doit être à la fois militant et dogmatique, et qu’il exige, sous peine de stérilité absolue, les plus l’ares qualités que la science impose à ceux qui aspirent à la professer, à savoir : la connaissance approfondie des faits, la clarté dans l’exposition, le choix sévère des principes, une discussion habile et éloquente.

Ces qualités ont brillé du plus vif éclat au Collège de France depuis que l’enseignement de l’économie politique y a été inauguré. Il suffit de nommer les professeurs Jean-Baptiste Say, Rossi, et M. Michel Chevalier. La science nouvelle, ou plutôt la démonstration nouvelle d’une science aussi vieille que le monde, a eu la bonne fortune de rencontrer, dès le premier jour, de dignes interprètes qui lui ont conquis le droit de cité, et l’ont placée si haut qu’elle intervient aujourd’hui dans toutes les discussions où il s’agit d’intérêts moraux ou matériels des états. En temps de paix, en temps de guerre, en temps de révolution, partout et toujours elle portera désormais la parole, et déjà la mobilité de notre histoire politique lui a fourni l’occasion de prouver que la plupart des principes sur lesquels elle se fonde s’appliquent aux situations les plus diverses. Prenons pour exemple les lois sur le capital et sur le crédit, le régime de l’association, l’organisation du travail : sur tous ces points, l’économie politique a déjà donné des solutions qui, après tant de crises et de révolutions, après tant d’utopies et de rêves, ont été seules reconnues saines et praticables, et qui paraissent même aujourd’hui si simples, qu’on leur refuse, comme nous l’avons dit plus haut, le caractère scientifique.

Ces réflexions nous sont inspirées par la seconde publication du cours professé, il y a quatorze ans déjà (1841-42), par M. Michel Chevalier. Les idées exposées dans la nouvelle édition de ce cours, par lequel le professeur a ouvert son enseignement, conservent aujourd’hui encore le degré de vérité scientifique qui les recommandait à l’époque où elles furent pour la première fois développées devant l’auditoire du Collège de France. Il faut, disait alors le professeur, augmenter la puissance productive, élever la production au niveau des besoins toujours croissans de la consommation, répandre ainsi le bien-être, sans perdre de vue que le bien-être contribue pour une large part à l’amélioration morale de la société. Ainsi, en enseignant les procédés par lesquels une nation peut obtenir l’accroissement de ses facultés productives, l’économie politique ne saurait être considérée comme matérialiste ni matérielle : elle se rattache à la philosophie comme à la morale, et ses leçons demeureraient stériles, si, tout en énumérant les ressources que l’emploi de la matière offre à l’intelligence de l’homme, elles ne rappelaient également le concours supérieur que prête à l’accumulation et à la répartition des richesses la pratique des plus nobles vertus.