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Saint-Pierre de Rome, n’a pas la grandeur d’un enfant comparée à celle d’un géant. Voici une curieuse remarque mathématique qui se rapporte aux temples de Sicile, et notamment aux vastes ruines de Sélinonte. Pour renverser ces édifices et produire la confusion de leurs débris qui frappe aujourd’hui nos yeux, la nature a dû faire plus de travail réel, employer plus d’énergie destructive, plus de force active qu’il n’en avait fallu à l’homme pour extraire les matériaux de la carrière, les tailler en murs, en colonnes et en voûtes, et enfin les construire architecturalement. Que sera-ce, si l’on pense aux édifices auxquels on peut appliquer ce fameux hémistiche de Lucam :

Etiam periere ruinæ !

Quand on considère l’immense étendue des contrées qu’un même tremblement de terre atteint d’une seule secousse, il est impossible de ne pas concevoir l’idée que nos continens et le fond de nos mers ne reposent point sur une base solide, et que ce sont comme d’immenses fragmens, mal unis et mal fixés ensemble, flottant et pesant sur une masse fluide intérieure, comme flottent et pèsent les glaçons d’une débâcle à la surface d’un lac qui en porte les débris entassés confusément, et se présentant à l’œil dans tous les sens par rapport à leur formation primitive. Ces fragmens, soulevés d’un bout et enfoncés de l’autre sous la masse liquide qui les porte, représentent au mieux nos saillies de montagnes, dont les crêtes ne sont portées si haut qu’en raison de la dépression que leurs couches atteignent sous les autres matériaux qui constituent ce que l’on a si justement appelé l’écorce du globe. Les terrains solides qui font nos continens n’ont guère plus de soixante kilomètres d’épaisseur, et de plus, chose aussi étonnante que certainement démontrée, le fluide qui les porte est une mer compacte de feu, un vaste noyau qui conserve encore sa fusion primitive, sa réaction élastique de l’intérieur à l’extérieur, et qui, dès que son enveloppe vient à se briser mécaniquement, épanche hors de son sein des fleuves de lave liquide, des colonnes de gaz dont la nature est telle qu’après avoir été lancées à plusieurs milliers de mètres de hauteur, elles retombent en cendres volcaniques, comme l’eau qui, projetée en vapeur dans l’air d’un hiver de Sibérie, retombe en grains solidifiés de neige et de glace.

Mettant pour le moment de côté toute idée théorique, nous dirons que le tremblement de terre de Lisbonne, en 1755, se fit sentir d’un bout à l’autre de l’Europe. Les eaux minérales, qui vont puiser leur chaleur dans les profondeurs du sol, où elles trouvent, comme nos puits artésiens, des couches d’autant plus chaudes qu’elles sont plus profondes, se troublèrent du nord de la Baltique jusqu’aux rivages de l’Afrique, et depuis l’Europe orientale jusqu’aux îles et au continent nord de l’Amérique. Les secousses même furent ressenties sur toute cette vaste portion du globe. Nous avons des cartes de tous ces grands effets météorologiques. La terre et la mer y sont divisées par districts dont les secousses sont simultanées. Il y a le district atlantique, celui de l’Océan-Pacifique, celui de l’Asie centrale, sans compter les petites subdivisions comme l’Italie, la Sicile, l’embouchure de la Mer-Rouge, le Kamtchatka, le lac Baikal. Quant aux tremblemens individuels, il y en a