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châle de Perse ou de Cachemire. Des collections de fleurs, le goût s’est porté dans ces derniers temps sur les collections d’objets d’art et d’histoire naturelle. Seulement la plupart des voyageurs qui traversent la ville de Harlem à vol d’oiseau ou de vapeur ne soupçonnent pas même l’existence de ces richesses. En France, les trésors scientifiques sautent aux yeux ; en Hollande, il faut les chercher. Ces dépôts, chefs-d’œuvre de patience et d’étude, la plupart des habitans eux-mêmes les ignorent, les livres n’en parlent point, et une modeste sollicitude les conserve religieusement sous clé. Ici la science sait être riche avec discrétion, mais pourtant elle n’est point avare. Une véritable urbanité hollandaise, sans faste et sans recherche, ouvre volontiers la porte aux amateurs.

À la tête des institutions estimables qui fleurissent dans la ville de Harlem, se place d’abord la Société hollandaise des sciences, dont un professeur distingué, M. van Breda, est le secrétaire perpétuel. Cette société existe depuis cent trois ans. Il est curieux de voir une sorte d’académie indépendante de l’état, et qui, soutenue par les contributions annuelles d’une trentaine de ses membres, possède un cabinet d’histoire naturelle, donne des prix de 1,000 florins, publie un grand nombre de mémoires. Ces créations particulières sont tout à fait dans les mœurs et dans le caractère de la Hollande. À Harlem vécut un honnête homme qui s’appelait M. Teyler : ce n’était point un savant, c’était un fabricant et un bourgeois de la ville ; mais en mourant il laissa une somme considérable pour fonder, entre autres établissemens, un musée qui porte aujourd’hui son nom, le Musée Teylérien[1]. Là, dans une maison extérieurement simple, intérieurement vaste et splendide, se cachent une bibliothèque riche en livres de science et de voyages, une galerie de tableaux dans laquelle figurent les meilleurs ouvrages des peintres hollandais vivans, un cabinet de minéralogie et de physique, une rare collection de fossiles[2]. On sera peut-être étonné d’apprendre que ce musée, dont toutes les villes de la France et de l’Europe envieraient les trésors, a été fondé seulement par douze personnes. Plus libéraux encore que le donateur, les directeurs actuels admettent deux fois par semaine le public de Harlem dans ce sanctuaire de l’art

  1. Nous avons recueilli cette inscription commémorative, gravée en lettres d’or sur marbra blanc : Musæum Teilerianum ex testamento viri optimi de posteritate bene mérentis ædificandum curaverunt… Suivent les noms des commissaires qui ont exécuté les intentions du testateur.
  2. Parmi les ruines de l’ancien monde, nous avons remarqué quatre beaux échantillons du mystriosaurus, reptile qui vivait et courait sur la terre, une série d’insectes trouvés dans le terrain jurassique, des débris de squallodon ou grand serpent de mer, huit exemplaires de la salamandre, quelques os de l’oiseau géant de la Nouvelle-Zélande, et beaucoup d’autres monumens uniques ou précieux d’une création qui n’est plus.