Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 11.djvu/907

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fond en comble par ces fléaux réitérés effraie l’imagination. Pendant les premiers siècles de notre ère, les villes de l’Asie-Mineure et des îles grecques furent plusieurs fois comme anéanties avec leurs habitans. Les chroniqueurs du moyen âge ne mentionnent pas moins de catastrophes dans les siècles subséquens. Dans le siècle dernier, le désastre de Lisbonne et celui de Lima, les tremblemens de terre de la Calabre et des Indes occidentales; dans celui-ci, les violentes secousses du sol américain, avec la perte de près de cent mille âmes, le désastre de la Guadeloupe, ceux d’Alep et de Tibériade, dont les remparts ont été à la lettre démantelés; enfin tout récemment, en 1846, le tremblement de terre de Nassau, entre la France, la Belgique, la Hollande, le Hanovre, la Bavière et la Suisse, très bien circonscrit, quoique peu intense, — tout indique que l’état de choses actuel n’a rien de nouveau, rien d’exceptionnel. Pour parler poétiquement, nous descendons le cours des âges, et nous pouvons dire avec l’écrivain sacré : Que sera l’avenir? Rien que ce que fut le passé. Nous n’avons donc rien de plus à redouter en mal ni à espérer en bien. Le petit tremblement de terre de ces jours derniers, qui, comme celui de 1846, n’a embrassé qu’une région peu étendue dans les Alpes, a même son nom spécial dans Virgile, car dans les prodiges de son âge il mentionne les Alpes, « qui tremblent de secousses non accoutumées,» insolitis tremuerunt motibus Alpes! Après dix-huit siècles et demi, qu’y a-t-il de changé? Mêmes noms, mêmes choses.

Je tiens de M. Dupetit-Thouars, qui dans sa célèbre expédition a bien observé et bien décrit les effets des volcans d’Amérique, que les indigènes sont plus effrayés que les étrangers par les mouvemens du sol. Ce météore semble, comme le lion, être d’autant plus craint qu’on est plus familiarisé avec lui. Au moment des premières secousses, les habitans semblent frappés de vertige, ils courent en désordre se réfugier sur les places publiques loin des habitations croulantes. Ils ne songent qu’à se faire absoudre de leurs fautes, et souvent la peur d’une mort prochaine leur fait faire des réparations inattendues et restituer des biens mal acquis. Souvent les animaux sont saisis de la même panique que les hommes, quoique M. Boussingault ait été témoin du contraire. Ce phénomène semble agir autant sur le moral que sur l’organisation physique. S’il est un sentiment profond, instinctif, universel et tout puissant, c’est l’amour d’une mère pour ses enfans. Dans trois circonstances cependant, les observateurs du cœur humain l’ont trouvé en défaut. Il arrive parfois qu’une mère nourrice embarquée pour une longue traversée, et désorganisée par ce qu’on appelle le mal de mer, abandonne son enfant, qui lui devient comme étranger; dans un vaisseau en feu et dans un village emporté à coups de fusil, la mère se sauve seule, tandis que sans la circonstance du feu et de la mousqueterie elle se fût noyée avec ses enfans ou se fût fait sabrer sur eux. Nous avons une quatrième circonstance où la frayeur surmonte l’amour maternel, c’est le tremblement du sol; en pareil cas, on a vu les mères de jeunes enfans les abandonner dans leur berceau et n’avoir plus dans l’âme d’autre sentiment que celui de la frayeur et de la fuite.

En Italie, comme en Grèce et en Amérique, la consternation qui se répand aux premières secousses est la même. L’idée de la fin du monde est la seule