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entre l’Autriche et les puissances occidentales sur le terrain de l’alliance du 2 décembre, et la Prusse elle-même parfois tend à sortir de cet isolement où l’a jetée son indécision.

Voilà donc où on est la situation de l’Europe à l’heure présente. Que cette situation émeuve et absorbe les esprits, rien n’est plus naturel. Tout sert à rappeler l’attention sur le grand conflit des intérêts européens. Il y a quelques mois, on s’en souvient, l’empereur et l’impératrice faisaient un voyage à Londres. D’ici à peu de jours, c’est la reine d’Angleterre qui, pour la première fois, va venir visiter Paris avec le prince Albert. C’est là certes une image saisissante de l’alliance des deux pays. Qu’on pèse un instant par la réflexion les changemcns de tout genre, les révolutions, les événemens qui ont été nécessaires pour que la reine d’Angleterre vînt en France, reçue par le successeur de Napoléon ! Ce sont là les contrastes et les surprises de l’histoire, qui s’offrent comme un aliment de plus à la pensée.

La littérature ne vit pas seulement de spéculations ; elle ne s’absorbe pas dans les fictions d’un art abstrait ou de l’imagination créatrice. La réalité est là singulièrement dramatique et puissante, qui sollicite et aiguillonne l’intelligence en lui offrant le spectacle des crises des peuples, des influences qui se déplacent, de toutes les forces contemporaines qui se disputent l’empire : spectacle varié et mobile comme les intérêts et les passions qui sont en jeu ! De là cette multitude d’œuvres de tout genre qui s’inspirent des événemens, soit pour chercher dans l’histoire la lumière du temps présent ou pour ressaisir les origines de la crise actuelle, soit pour détacher quelque épisode de ce grand drame ou pour mettre à nu les faiblesses invétérées de l’organisme européen, soit enfin pour recueillir les vives et fortes impressions de ces luttes nouvelles qui se poursuivent. Certes, à l’heure où le continent est en armes, au moment où la Russie, sous l’obsession de cette fatalité qui l’entraîne vers l’Orient, s’est décidée à risquer sa grande aventure, il n’est point inutile de sonder le mystère de cette puissance, de rechercher comment elle a grandi, par quelle série de circonstances de toute nature elle est arrivée à être une menace permanente pour l’Occident. Est-ce dans cette pensée que M. de Lamartine a écrit l’histoire de la Russie qu’il vient de publier ? M. de Lamartine par malheur, et c’est le regret de ceux qui n’ont pu oublier l’enchantement de ses premières inspirations, M. de Lamartine écrit tant d’histoires depuis quelques années, que l’esprit a de la peine à le suivre dans ce frivole enfantement d’œuvres de circonstance. On l’avait quitté à Constantinople déroulant les annales de la Turquie, on le retrouve à Paris au milieu des conslituans de 1789 ; il va de Florence à Saint-Pétersbourg, des splendeurs de la civilisation italienne aux steppes de la Russie, et il va, dit-on, aborder la figure de César : improvisateur d’un grand souffle, on ne peut le méconnaître, mais qui brode le plus souvent sur des thèmes connus, dédaignant les côtés sérieux et profonds des événemens humains, prenant l’anecdote pour l’histoire, jugeant sans sûreté, peignant sans précision, et donnant à la vie des peuples l’apparence d’un roman par la magie de la forme et du coloris ! Ainsi il se retrouve encore dans l’Histoire de la Russie.

Ce n’est point une histoire, c’est une réunion de données générales et d’anecdotes sur quelques-uns des règnes les plus célèbres des tsars, depuis