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réalité, autant qu’on peut s’approprier une chose empruntée en la défigurant et en la déformant, car il était si complètement subjugué par sa personnalité, par la vanité et la passion de l’effet, que toutes ses actions et ses notions se contournaient pour en prendre le pli. Un esprit ainsi constitué peut bien admettre la lumière, mais on sent qu’il ne peut l’analyser. Comme un prisme coloré, il ne donne qu’une réfraction falsifiée. Une organisation pareille est entièrement impropre au rôle de critique et de juge.

En résumé, après avoir passé en revue toutes les prétentions de Haydon, nous sommes forcé de resserrer dans un bien étroit espace ses titres réels, et c’est tout à fait en dehors de ses peintures et de ses dessins que nous devons les placer. A notre avis, s’il a donné une preuve positive de capacité plastique, elle se trouve dans l’hommage qu’il a su rendre à la beauté des sculptures grecques connues sous le nom de marbres d’Elgin, et dans les vues qu’il a émises sur l’encouragement du grand art par l’état. Ses idées sur ces deux points sont répandues dans divers écrits, publiés à des époques différentes; il faut les glaner au passage, et nous ne pouvons que les mentionner. Cependant il ne faut pas oublier une circonstance qui doit aussi être comptée pour Haydon. Non-seulement ce qu’il a dit sur les marbres d’Elgin et sur l’encouragement de la haute peinture est pensé en général avec suffisamment de clairvoyance, mais l’homme qui émit ces vues eut encore le mérite de les défendre de bonne heure. Il avait commencé à soutenir de pareilles opinions bien avant que le public voulût les admettre, et il persista malgré une longue et violente opposition.

Malheureusement pour Haydon, quelque valeur que l’on puisse accorder à ces appréciations, et quelle qu’ait été l’ardeur de son admiration pour les grandes qualités de l’art, la puissance d’appliquer ce qu’il semblait si vivement sentir ne lui avait pas été accordée. Il ne put jamais reproduire les beautés et les sublimités qu’il célébrait avec tant de chaleur. Entre les perceptions qu’il pouvait avoir et la toile où il s’agissait de les transporter, entre son cerveau et ses doigts, il existait comme une barrière invisible. Ce qu’elle était, nous pouvons seulement en juger par conjecture, et il est possible que nos suppositions soient fort loin de la vérité; mais que l’obstacle ait été de telle ou telle nature, il n’était pas moins !à, et il a été assez fort ou pour barrer entièrement le passage à ses sentimens d’artiste, ou pour les altérer et les défigurer au point d’en rendre la valeur native complètement méconnaissable.


W. H. DARLEY.