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ouvrage aussi considérable, aussi important que l’Encyclopédie britannique, réclamait autre chose que les phrases à fanfares et à courbettes, qui peuvent convenir quand on s’adresse à un auditoire mélangé. En pénétrant dans le cénacle des experts et des savans, il s’agissait de travailler avec eux à résumer et à placer, comme sur un piédestal, ce qu’il y avait de meilleur et de plus élevé dans les connaissances existantes ; mais il est probable que la puissance de comprendre les exigences d’une pareille entreprise fait partie de la faculté qui est la puissance de les remplir. Aussi se lança-t-il tête baissée dans son sujet. Avant de prendre la plume, il n’avait pas été sans beaucoup lire et beaucoup amasser ; malheureusement tout ce labeur, au lieu de mûrir ses conclusions, ne sert qu’à nourrir sa verve et son abondance. La même exagération et la même légèreté qu’il apportait à la tribune le suivent au fond du cabinet. Il semble avoir été le jouet d’une excitabilité maladive, qu’il n’était pas de force à dominer et qui l’emportait sans cesse jusqu’à la déraison. Rien ne saurait être plus inconvenant que le style de son travail, surtout dans la portion très considérable où il s’occupe de l’art moderne. Il se perd dans l’enflure et l’emphase pour retomber bientôt dans le sans-façon d’une conversation vulgaire. Il a toujours l’air de se croire en face du public, et il hausse la voix pour frapper davantage. De la sorte, l’Essai sur la Peinture fait l’effet d’un récit adressé à un groupe d’auditeurs sur un ton à la fois dogmatique et familier. C’est une espèce d’histoire décousue de l’art et des artistes à partir des temps les plus reculés, une revue où des jugemens par ouï-dire et de pures conjectures touchant des ouvrages disparus depuis des siècles sont présentés comme des faits, où les vieilles anecdotes sur les anciens maîtres, anecdotes que tout le monde connaît et dont la plupart ont été rejetées de longue date par les bons esprits, sont répétées avec complaisance, le tout entremêlé de citations puisées dans les auteurs classiques ou modernes et d’appréciations esthétiques. Une syntaxe défectueuse, sans parler d’une mauvaise ponctuation, et beaucoup de phrases enchevêtrées rendent souvent fort difficile la tâche du lecteur, préoccupé de discerner ce que l’écrivain a voulu dire. Haydon a tant de facilité, que ses idées sortent confuses et heurtées comme la foule que dégorge la porte d’un théâtre. Parmi les opinions que l’on peut saisir au milieu de ce chaos, bon nombre reproduisent des aperçus judicieux ; mais elles ne sont pas originales, bien que certainement l’auteur les ait énoncées avec la conviction qu’elles étaient de son cru. Haydon était prompt à subir et à suivre les idées d’autrui, il les adoptait facilement, et, comme il arrive d’ordinaire aux esprits ainsi disposés, il considérait chaque enfant-trouvé comme sa propre progéniture. C’était la sienne en