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lorsqu’il changeait en sceptre d’or le bâton pastoral de David. La politique sacrée de Bossuet fut la substitution la plus hardie en même temps que la plus sincère de l’idée judaïque à l’idée nationale. Cette transformation était alors si universellement opérée dans les esprits et dans les consciences, que Massillon n’étonnait personne lorsqu’il l’élevait à la hauteur d’une sorte de vérité dogmatique, en prêchant devant l’enfant destiné à faire tomber si bas la puissance que l’orateur sacré semblait associer à l’essence des choses divines[1].

La royauté allait donc briller d’un éclat inconnu jusqu’alors sur le sol labouré par la révolution et par les siècles ; elle allait devenir la forme même dans laquelle s’encadreraient naturellement et sans effort les institutions, les idées et les mœurs de cette France façonnée à son image. La génération que nous avons vue si inquiète et si bruyante se mit en parfaite harmonie avec l’ère nouvelle, dont elle avait en vain tenté de retarder l’avènement, et acheva ses jours sous le joug universellement accepté d’une discipline forte et puissante. Ces hommes voués à l’esprit de faction, ces femmes vouées à l’intrigue et à la galanterie, devinrent les plus soumis des sujets ou les plus héroïques des pénitentes, et l’ordre rentra dans les âmes sitôt qu’il fut rentré dans la société. Ce fut seulement alors que cette génération dévoyée se mit en pleine possession de toutes ses vertus. Dans les camps et à la cour, Condé ne fut pas seulement le plus réservé des princes, il fut encore le serviteur le plus soumis, le caractère le plus facile, et les événemens le transformèrent à ce point qu’un grand homme ne s’est jamais moins ressemblé à lui-même. Il en fut ainsi de tous les acteurs de ces scènes si vite oubliées. La postérité ne connaît guère de la princesse palatine que « ces années durant lesquelles ses yeux si délicats faisaient leurs délices des visages ridés et des membres courbés sous les ans ; » et si les austérités de Mme de Longueville ne furent pas, comme celles d’Anne de Gonzague, données en exemple au monde par le grand panégyriste chrétien, il était réservé à la sœur du grand Condé d’apparaître de nos jours, sous le pinceau d’un grand maître, plus radieuse dans ses douleurs que dans sa beauté.

Le règne de Louis XIV ressemble si peu aux temps qui l’ont immédiatement précédé, qu’on éprouve quelque étonnement en retrouvant les mêmes personnages dans des pièces aussi dissemblables. Ce n’est jamais sans une sorte d’hésitation et presque d’effroi que les hommes de cette époque reportent leurs pensées « vers ces tempêtes par où le ciel avait besoin de se décharger pour préparer le travail de la France prête à enfanter le règne miraculeux de Louis[2]. »

  1. Petit carême prêché en 1717 devant Louis XV.
  2. Bossuet, Oraison funèbre d’Anne de Gonzague.