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autre qui vient de l’absence de toute délicatesse, et c’est à celle-là que nous attribuons sans hésiter la confession dont il s’agit.

Il est triste sans doute de porter une condamnation aussi impitoyable sur un homme qui dans ses mœurs est certainement resté pur de toute grave souillure ; mais un jugement plus élevé que celui qui gouverne les opinions humaines l’avait condamné à l’avance, car, malgré ses mérites moraux, il a échoué. Sa destinée nous montre que la vertu, hélas ! quand elle est montée sur les échasses de la folie, s’attire souvent une chute aussi rude que le vice. Ce n’est pas nous qui le frappons sans merci. Nous venons seulement à la suite de la foudre, pour tâcher de comprendre ce qui l’a attirée sur sa tête et pour chercher comment ses bonnes œuvres n’ont pu le sauver.

Passer en revue ses divers travaux, ce serait de fait raconter autant d’échecs, et qui plus est autant d’échecs dont il est difficile de rejeter la faute sur l’indifférence d’autrui, car les secours, les encouragemens et même les louanges ne lui firent pas défaut durant sa chute prolongée. Mieux vaut épargner au lecteur le détail inutile et affligeant de tous ses vains efforts pour exécuter ce que sa nature se refusait à faire. Nous préférons arrêter nos regards sur ce qui était dans ses moyens et sur ce qu’il put accomplir en quelque sorte malgré lui. C’est là le côté lumineux de sa carrière.

Quand on examine Haydon en dehors de son rôle de peintre, on est frappé du bataillon serré d’amitiés dont cet esprit fantasque a sans cesse été entouré. Quoique le monde en général ait peu d’amour ou de pitié au service des vaincus, et fasse plutôt comme les chiens qui se jettent sur leur compagnon estropié, Haydon eut le privilège d’inspirer la sympathie et d’obtenir à chaque instant la seule espèce d’assistance dont il se souciât et voulût profiter : des bourses ouvertes pour sa main. Il trouva promptement des patrons dans l’aristocratie et les classes riches ; il se fit une foule d’amis et de compagnons parmi les poètes, les écrivains et les artistes ; il rencontra nombre de créanciers généreux et même de bienfaiteurs dans les rangs des ouvriers, des marchands et des autres hommes d’une position analogue, avec lesquels il eut des rapports pendant toute sa vie. Cela prouve qu’en dépit de son excessive présomption et de tous ses défauts comme artiste, on, pis encore, comme mauvais débiteur, il devait avoir quelques qualités éminemment sociables et attrayantes. Dans les trois volumes qui lui sont consacrés, on voyage en quelque sorte à travers de charmans épisodes d’obligeance empressée et d’affection toute désintéressée, épisodes très honorables pour le monde au milieu duquel ils se sont produits, et qui sont aussi à l’honneur de l’homme qui a mis en jeu tant de bons sentimens. On est heureux de rencontrer ces traits consolans, et de s’y reposer