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introuvable. Le corps des académiciens, dans lequel étaient réunies, les sommités du jour et se choisissaient les professeurs, renfermait sans doute un groupe de talens incontestables; mais tous n’étaient parvenus qu’en dépit d’une instruction incomplète et sans discipline. Leurs œuvres, malgré d’évidentes qualités, prêtaient tellement le flanc à la critique la moins expérimentée, et eux-mêmes étaient tellement des peintres d’instinct et non de science, que leurs préceptes comme leur exemple ne pouvaient transmettre qu’un enseignement vague ou décevant.

Il courait d’ailleurs à cette époque nombre d’opinions absurdes sur l’art et le génie. C’était chose commune de s’imaginer que l’homme vraiment doué produisait son œuvre sans labeur et sans préparation. De pareilles idées étaient faites pour aller à un esprit aussi présomptueux que celui de Haydon, et on ne sera pas surpris, de le voir aux prises, dès sa seconde année d’étude, avec un grand tableau et un sujet de haut style. « Je commandai une toile pour mon premier tableau (six pieds sur quatre), — le Repos de Marie et Joseph pendant la fuite en Égypte, — et le 1er octobre 1806, après avoir chargé ma palette et pris en main mes brosses, je m’agenouillai pour demander à Dieu qu’il bénît ma carrière, qu’il m’accordât la puissance de créer une ère nouvelle et d’ouvrir les yeux de la nation et des patrons de l’art sur la véritable valeur de la peinture historique. J’épanchai à ses pieds mes actions de grâces pour sa tendre protection durant mes études préparatoires, pour la faveur qu’il m’avait faite de me. mettre de bonne heure dans la droite voie, et je le conjurai de me continuer dans sa miséricorde le secours qu’il m’avait accordé jusque-là. Je me relevai tout rempli de ce calme particulier qui chez moi accompagne toujours de telles effusions de reconnaissance, et les yeux résolument fixés sur ma toile immaculée, dans une sorte de fureur spasmodique, je lançai mon premier coup de pinceau. »

Cet enthousiasme fébrile, — si de pareils dérangemens d’esprit, n’échappent pas à tout contrôle, — semblait avoir trouvé son médecin dans la personne de Wilkie, chez qui la nature avait réuni les deux meilleurs correctifs de l’ignorance et de l’exaltation déréglée, — une intelligence supérieure et une calme persévérance. Pendant l’élaboration de son œuvre, Haydon tira grand profit des visites, fréquentes de son ami, ou, pour parler plus juste, ce fut le tableau, qui en profita. Sous l’influence immédiate de ce Mentor, l’extravagance et l’absurdité furent contenues dans de certaines limites, et bien des fautes flagrantes se trouvèrent étouffées avant de naître; mais quant au peintre lui-même, il avait une tournure d’esprit trop opposée à celle de son conseiller, et ses facultés d’artiste étaient trop peu développées, pour qu’il lui fût possible de s’assimiler des notions