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tel fut d’un bout à l’autre de la vie de Haydon l’état normal de son esprit. « Pendant trois mois, reprend-il, je ne vis que mes livres, mes plâtres et mes dessins. Mon enthousiasme était immense, mon zèle pour l’étude celui d’un martyr. J’avais résolu d’être un grand peintre, de faire honneur à mon pays, de laver l’art du stigmate d’ineptie qui s’y attachait. Si chimériques que ces aspirations puissent paraître chez un jeune homme de dix-huit ans, je. ne doutai pas un instant de mon aptitude à les réaliser. J’avais arrêté ce que j’avais à faire, je n’avais besoin d’aucun guide. »

Une pareille passion pour le grand art, se révélant tout à coup sous l’influence de quelques lectures restreintes, dans une ville reculée de la province, n’est évidemment qu’un égarement de l’enthousiasme. La vocation véritable s’annonce d’une façon plus humble : la tendance à observer les formes et les couleurs, le désir de les reproduire, en sont les premiers et les plus sûrs symptômes. De Giotto à Raphaël, c’est là l’histoire universelle des commencemens du génie. L’ambition peut se déclarer par la suite, et elle vient apporter au goût spontané un surcroît d’audace ou de persévérance; mais comme impulsion première, elle n’est qu’une énergie factice que ne saurait remplacer l’instinct naturel. Bien qu’elle puisse, l’intelligence aidant, enfanter de ces talens qui réussissent auprès des masses, on peut prédire presque à coup sûr que, partout où elle prédomine de si bonne heure, on ne verra jamais naître aucune œuvre d’une valeur plastique vraiment remarquable.

Un autre trait non moins saillant de cette singulière organisation se dessine à nos yeux dès les débuts du jeune artiste. Nous voulons parler de la disposition marquée de Haydon à mêler la prière à ses études et à ses travaux. « Le dimanche après mon arrivée, écrit-il dans ses mémoires, j’allai à l’Église-Neuve invoquer humblement la protection du grand Esprit. Je le priai de guider, de soutenir et de bénir mes efforts, d’ouvrir mon âme et d’éclairer mon intelligence. J’implorai de lui la santé du corps et de l’esprit, et en me relevant je sentis une certitude d’assurance spirituelle qui ne saurait être exprimée. J’étais calme, froid, illuminé, comme si du cristal eût coulé dans mes veines. Je revins chez moi, et j’achevai la journée dans un silencieux isolement. » Sans doute la ferveur de Haydon était celle d’un adolescent qui n’avait pas encore mis huit jours entre lui et les paisibles vertus d’un intérieur de province, et en pareil cas la piété n’est pas toujours l’effet d’une disposition naturelle du caractère : elle ne prouve souvent que la force des premières habitudes; mais ici encore la vie entière du peintre ne nous permet pas d’expliquer sa conduite par la seule influence de la jeunesse. L’âge eut beau venir, les habitudes reçues eurent beau avoir le temps de s’user en