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de ces cours elles-mêmes, elle en prit les allures incertaines, au point que, par la suite, elle conserva toujours quelque chose de timide et d’abaissé jusque dans les plus violens paroxysmes de la faction.

Un sort non moins funeste attendait l’aristocratie française. Les hauts barons et les princes apanages qui succédèrent à ceux-ci occupaient dans la hiérarchie féodale une trop grande place pour avoir, comme les seigneurs anglais, besoin de recourir incessamment à la nation afin de résister à la couronne ; ils combattaient la royauté avec leurs seules forces, et bien plus dans l’espoir de lui échapper par une quasi-indépendance qu’avec la volonté de restreindre son pouvoir, en conquérant des droits pour eux-mêmes. Au lieu de limiter la puissance du trône, ils aspirèrent à la briser, et furent toujours un péril pour la puissance de la France sans devenir jamais un point d’appui pour la liberté. Aussi le concours de l’étranger fut-il pour eux une sorte de tradition qu’ils envisageaient comme ne présentant rien d’incompatible ni avec le devoir ni avec l’honneur. Depuis les ducs de bourgogne jusqu’aux princes de Condé, sous les Valois comme sous les Bourbons, on les vit, sans plus d’hésitation que de remords, ouvrir le royaume aux Anglais ou bien y appeler les Espagnols.

De toutes les forces qui s’étaient développées dans la France de nos pères, une seule n’avait jamais déçu les espérances de la nation. Tandis que les deux classes principales de la société s’agitaient d’une manière aussi stérile, la royauté avait été l’instrument de tous les progrès accomplis, et avait exercé durant dix siècles un rôle constamment utile, constamment identique avec lui-même. Elle avait arraché la Gaule aux barbares, maintenu le christianisme en Europe, affranchi les serfs, émancipé les communes, appelé autour d’elle le tiers-état, grandi à l’ombre de son autorité tutélaire. La royauté avait jeté dans la légende les noms de Clovis et de Clothilde ; elle avait mis sur les autels l’image de saint Louis ; elle avait éveillé sous son toit solitaire l’héroïsme de Jeanne d’Arc ; elle seule avait entretenu, durant les luttes contre l’étranger, le long espoir des générations mortes à la peine. Dans un symbolisme patriotique et religieux, l’idée monarchique résumait donc, à l’heure où elle s’incarnait dans un jeune souverain dont la nature avait plus fait un roi qu’un homme, toute la poésie, tous les souvenirs et la plupart des intérêts vitaux de la nation.

Les doctrines de toutes les écoles venaient, concurremment, avec les déceptions de tous les partis, rehausser l’institution royale pour la transfigurer. Nourris dans les traditions romaines, les magistrats retrouvaient dans les chefs de la monarchie les continuateurs des césars, et les ecclésiastiques voyaient briller à leur front un reflet du sacerdoce royal institué dans Israël par le Seigneur lui-même,