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diplomatie ? Ce petit conte du brahmane et de ses pots ne laisse pas d’être fort agréable, quoiqu’il reste bien au-dessous de l’apologue mis en vers par La Fontaine. Je ne doute pas qu’il ne soit très goûté du peuple de l’Hindostan, d’abord parce qu’il montre un brahmane dupe de sa propre avidité, puis parce que ce brahmane est un habitant de la province lointaine de Coromandel, où les poètes aiment à faire naître ceux qu’ils livrent à la risée des lecteurs. La moralité de cette fable a le mérite d’être acceptée par tous les peuples ; elle rentre dans le domaine commun de la sagesse universelle, et j’aimerais à m’y arrêter, afin de donner une idée meilleure de celle de Nârâyana. Cependant je ne puis m’empêcher de citer ici la stance étrange qui termine l’ouvrage. Après avoir épuisé le sujet des alliances et des traités, qui sont de seize espèces différentes, après avoir recommandé aux souverains de ne se point laisser éblouir par l’ambition ou par le succès de leurs armes, le sage brahmane Nârâyana, le compilateur de l’Hitopadésa, termine son livre par ce trait caractéristique : « Puissent tous les souverains victorieux trouver toujours leur bonheur dans la paix !… Puisse la science de la politique se reposer continuellement sur le sein des ministres, comme la courtisane, et y prodiguer ses baisers !… » Encore cette malencontreuse évocation de la courtisane. C’est bien la peine d’être brahmane pour employer de semblables comparaisons ! Ne semble-t-il pas que le moraliste indien, après avoir édifié le monde par ses graves enseignemens, se hâte d’essuyer sa plume de roseau pour aller écouter les propos moins sérieux de quelque bayadère aux yeux de gazelle, dont le souvenir le trouble jusque dans la méditation ?


IV.

L’Hitopadésa ne ressemble guère, comme on vient de le voir, aux recueils d’apologues que nous ont légués les Grecs et les Romains. La fable y tient comparativement fort peu de place, le cadre en a été singulièrement agrandi, et la moralité, que nous sommes accoutumés à trouver resserrée en une ou deux phrases vives et précises, s’y développe sous la forme de stances, d’aphorismes, qui donnent naissance à de nouveaux récits. C’est pour cette raison que nos citations ont principalement porté sur les vers qui contiennent des idées philosophiques ; on y trouve l’esprit de l’auteur, le fond de sa pensée bien mieux que dans la fable elle-même. Celle-ci d’ailleurs, malgré sa perfection, ne peut nous intéresser autant que l’idée morale. Tel qu’il apparaît dans l’Hitopadésa, l’apologue indien offre