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obéissaient aux mêmes lois religieuses et parlaient la même langue, les peuples de l’Inde formaient comme une vaste confédération, souvent troublée par les discordes des rois, mais que ne divisait pas l’antipathie des races.

La paix convenait donc mieux que la guerre aux instincts et au génie des Hindous ; aussi l’auteur de l’Hitopadésa en fait-il ressortir habilement les avantages. Sur le point délicat qui consiste à conclure la paix après la guerre, l’Inde a sa théorie comme sur toute chose, théorie basée sur l’intérêt et qui fait trop bon marché de l’honneur des rois et de la dignité des nations. Partant de ce principe, — qu’il faut désirer la paix même avec un égal, parce que la victoire est douteuse et qu’il y a imprudence à courir les chances d’une bataille dans laquelle le roi expose ses alliés, sa personne, son armée, ses trésors et sa réputation même, — l’auteur admet comme une vérité fondamentale la sentence que voici : « Il vaut mieux nous lier avec un ennemi qui nous rend un service qu’avec un ami qui nous nuit. Nous ne devons donner à l’un ou à l’autre le nom d’ami ou d’ennemi que suivant le bien ou le mal qu’ils nous font. » Soit, mais pourquoi, dans le livre de la Guerre, a-t-il été recommandé aux rois de se tendre des pièges, de faire des traités pour les rompre, et de se voler réciproquement des provinces ? L’avidité des princes cause leur perte : telle est la vérité suprême que Nârâyana cherche à établir au chapitre qui traite de la paix, et à l’appui de sa démonstration il raconte la petite fable que voici :


« Dans la ville de Dèvikota (sur la côte de Coromandel) vivait un brahmane du nom de Dévasarman. Pendant l’équinoxe du printemps, il trouva un plat qui était plein de farine d’orge. Il prit ce plat, puis alla se coucher chez un potier, dans un hangar où il y avait une grande quantité de cruches. Pour garder sa farine, il prit un bâton dans sa main, et pendant la nuit il lit cette réflexion : Si je vends ce plat de farine, j’en aurai dix pièces de monnaie ; avec cette somme, j’achèterai des jarres, des plats et d’autres ustensiles que je vendrai. Après avoir ainsi augmenté peu à peu mon capital, j’achèterai du bétel, des vêtemens et divers objets. Je revendrai tout cela, et quand j’aurai amassé une grande somme d’argent, j’épouserai quatre femmes ; je m’attacherai de préférence à celle qui sera la plus belle ; puis, lorsque ses rivales jalouses lui chercheront querelle, je les frapperai ainsi avec mon bâton. — En parlant de la sorte, il se leva et lança son bâton. Le plat d’orge fui mis en morceaux, une grande quantité de vases furent brisés. Le potier arriva à ce bruit, et voyant ses pots en un pareil état, il fit des reproches au brahmane et le chassa de son hangar. »


Qui se serait attendu à trouver ici la laitière et son pot au lait servant de texte à un moraliste indien en train de faire de la haute