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saison des pluies. Voilà pourquoi, dans une contrée où l’on recommande à l’homme de ne pas ôter la vie au plus vil animal, l’art de la guerre ne laisse pas d’être en grand honneur. Que sont les gigantesques épopées attribuées à Vyâsa et à Vâlmiki, — le Mahâbhârata et le Râmâyana, dont l’Europe peut aujourd’hui apprécier les beautés, — sinon la glorification de l’héroïsme guerrier joint à la piété ? L’Hitopadésa s’étend longuement sur l’art de la guerre ; il traite avec complaisance de l’entrée en campagne, de la marche de l’armée en pays ennemi, et surtout des ruses à employer, car la ruse convenait au caractère des Indiens comme à celui des Grecs. L’armée d’un râdja de premier ordre se compose de quatre corps : les éléphans, les chars, la cavalerie et l’infanterie ; de là une théorie assez compliquée, et qui se formule en axiomes du genre de ceux-ci : « Dans les chemins raboteux, dans les marécages et dans les montagnes, il faut marcher avec les éléphans….. ; pour combattre en plaine, il faut se servir des chars et des chevaux…… ; dans les lieux couverts d’arbres et de buissons, on doit faire usage de l’arc ; en rase campagne, employer l’épée, le bouclier et les autres armes. » La bravoure est la première vertu du soldat ; la tactique et la prudence sont les principales qualités du capitaine ou du roi. En thèse générale, un prince ne doit attaquer par la force qu’après avoir tenté de triompher par la ruse. « Les insensés qui se précipitent avec témérité sur l’armée ennemie vont embrasser la pointe des épées, » dit le texte indien, tant il est vrai que l’intrépidité, la valeur bouillante, l’ardeur chevaleresque, ces vertus militaires si communes de nos jours, se sont acclimatées en Europe mieux qu’en aucune autre partie du globe ! Le guerrier de l’Inde, s’il meurt en combattant, va droit au ciel, mais il peut sans rougir employer toute sorte de moyens pour obtenir la victoire. Un roi attaquera l’armée ennemie quand elle est fatiguée par une longue marche, arrêtée par des fleuves ou des montagnes, quand elle souffre de la faim et de la soif, quand elle est tourmentée par des maladies ou harcelée par d’autres ennemis. Autant vaut dire : Attaquez sans crainte une armée déjà vaincue à moitié ! Mais comme il est rare que toutes les circonstances favorables à l’assaillant se trouvent réunies, il en résulte que dans la pratique les Hindous se montrent souvent plus braves que dans la théorie. Leur histoire prouve qu’ils ont vaillamment combattu l’invasion musulmane sur divers points de leur territoire et résisté parfois avec énergie aux envahissemens des nations européennes. Seulement ils n’ont pas connu la passion de la guerre pour la guerre, la passion des conquêtes qui a poussé hors de chez elles les autres nations sorties de l’Asie. Civilisés dès les temps anciens et divisés en royaumes plus ou moins puissans, qui