De là, vient sans doute que le législateur et les poètes, aussi bien que le fabuliste Nârâyana, aiment à rappeler aux souverains qu’ils sont tout-puissans, et qu’aucune autorité rivale ne doit s’élever en face du trône. D’ailleurs une flatterie coûte si peu aux écrivains orientaux ! « La foudre et la colère du roi sont deux choses très redoutables, dit l’Hitopadésa, mais l’une ne tombe qu’à une seule place, tandis que l’autre frappe tout autour de nous. » Tantôt le souverain est comparé à un lion qui doit rugir de temps en temps pour se faire craindre, tantôt il est montré comme formé de l’essence de huit divinités terribles dont il soutire l’éclat et la puissance. Qu’il veille surtout, qu’il fasse rentrer sous terre les ambitions menaçantes, qu’il découvre dans le cœur des Macbeth le premier germe de la trahison. Et pourtant, comme il appartient à la race humaine, le roi a ses faiblesses que le fabuliste marque au doigt. « L’esprit d’un roi est changeant, dit-il quelque part, et il est difficile de le fixer… Des serviteurs capables et dévoués deviennent odieux à leur prince, tandis que d’autres, en lui faisant du mal…., s’attirent ses bonnes grâces. »
Ces maximes ne manquent pas de sagesse, et celui qui les énonce sera capable sans nul doute de donner au souverain d’excellens avis. C’est bien le cas d’user de cette liberté de langage qui se fait jour à chaque page. Hélas ! la politique astucieuse de l’Asie était professée hautement dans l’Inde à l’époque de sa décadence. Au lieu de ces belles et nobles paroles qui formaient les Titus, les Trajan et les Marc-Aurèle à la vertu et à la clémence, je lis ce qui suit : « Et surtout, sire, sachez bien ceci : de même qu’une courtisane, un roi habile en politique se montre sous divers aspects ; il est sincère et faux, dur et aimable, cruel et compatissant, avare et libéral. Il dépense toujours, et amasse d’autre part une immense quantité de pierres précieuses et de richesses ! » Inviter un roi à prendre pour modèle la courtisane rompue au mensonge, lui recommander par-dessus toute qualité la fausseté, le vice des âmes basses et des cœurs faibles, quelle étrange morale ! Est-il étonnant après cela d’entendre le même moraliste prescrire au roi d’avoir des espions partout, et même des espions vêtus en ascètes qui s’introduisent jusque dans les écoles où l’on enseigne la science religieuse, afin de savoir ce qui se passe ?
La morale de l’intérêt serait-elle donc le dernier mot de la sagesse indienne en fait de politique ? L’espèce humaine est-elle donc si perverse et si méprisable, qu’à tant de siècles d’intervalle, aux deux extrémités du monde et sous l’influence de deux religions si opposées dans leurs enseignemens, l’auteur de l’Hitopadésa et l’auteur