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L’excellence et la fidélité de sa mémoire n’enlèvent rien à la liberté de sa fantaisie. Il feuillette ses souvenirs comme un vocabulaire pour trouver l’expression qui rendra le mieux ce qu’il a résolu. Il sait d’ailleurs concilier l’érudition la plus profonde avec l’allure la plus franche, et c’est à ce double aspect de son talent qu’il faut rapporter la popularité de son nom. Il plaît à l’imagination allemande par la finesse et la variété de ses combinaisons, et il flatte en même temps les goûts studieux de son pays par les nombreux souvenirs qu’il évoque. Personne au-delà du Rhin ne songe à mettre en doute son originalité; quant aux défauts de son style, ils passent inaperçus.

Après Cornélius et Owerbeck, le nom le plus populaire de l’école allemande est celui de Rauch. Le monument élevé à la mémoire de Frédéric le Grand nous fournit l’occasion d’estimer le talent de l’auteur dans une de ses conceptions les plus importantes. Le modèle envoyé à Paris n’est qu’une réduction au huitième de l’exécution. Il y a donc deux parts à faire dans notre jugement, une part positive et une part conjecturale. L’effet réel du monument nous échappe, ou du moins nous ne pouvons que le prévoir, et l’expérience pourrait contredire nos prévisions sur plusieurs points; mais la composition tout entière est devant nous, et nous pouvons l’apprécier en toute sécurité. Le grand Frédéric est à cheval et coiffé du chapeau militaire. Le parti adopté par Rauch ne saurait être blâmé d’une manière absolue. Quoique le chapeau militaire ne se prête pas volontiers à l’effet monumental, je comprends que le sculpteur en ait coiffé son héros, car ce chapeau fait partie du costume moderne. Peut-être eût-il mieux valu représenter Frédéric tête nue; le visage eût acquis plus d’importance : c’était le parti le plus sculptural. Cependant, une fois résolu à ne pas transformer Frédéric en Marc-Aurèle, à ne pas imiter la statue équestre en bronze doré qui se voit au Capitole, je conçois que Rauch ait reproduit le costume militaire dans toutes ses parties; c’est une concession aux amis passionnés de la réalité. La ressemblance du visage est-elle complète? Il ne m’est pas donné de trancher cette question, car les portraits de Frédéric qui ont passé sous mes yeux n’étaient que des reproductions de gravures originales et ne présentaient aucune garantie d’authenticité. Toutefois le buste placé en regard du modèle réduit nous permet de juger en pleine connaissance de cause la manière dont l’auteur a compris l’aspect monumental de la tête. Or, étant donné la hauteur du piédestal, j’incline à penser que la tête modelée par Rauch n’offrira pas des plans assez hardiment accusés. Si le buste que nous voyons ne devait pas s’éloigner des regards du spectateur, nous aurions le droit de le considérer comme une ébauche; comme il doit être vu de bas en haut, et sur un piédestal très élevé, il nous est permis de