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d’écrire la forme entière sous la draperie, comme l’a fait le Florentin. Or M. de Cornélius ne paraît pas s’être préoccupé de cette condition. Il s’est contenté d’imiter les lignes extérieures des Sibylles dans le mouvement de sa figure, sans essayer de la modeler d’après les conseils du guide qu’il avait choisi. Je ne voudrais pas exagérer la portée de ce reproche : je sais que la volonté la plus sincère, la plus énergique, ne suffit pas pour atteindre au style de Michel-Ange; mais n’y a-t-il pas au moins de l’imprudence à réveiller ce terrible souvenir? Si M. de Cornélius désespérait d’imiter à la fois les lignes et le modelé, il eût agi plus sagement en abandonnant la partie.

Ai-je besoin d’ajouter qu’en discutant la fidélité de l’imitation, je n’entends pas la recommander comme un moyen de salut pour les artistes modernes? En peinture comme en poésie, il faut avant tout être soi-même. Or, dans la figure dont je parle, M. de Cornélius ne se révèle pas sous un aspect individuel. Il ne réussit pas, il est vrai, à dépouiller complètement sa nature; il en a fait assez pour perdre son originalité. Abondant, ingénieux, lorsqu’il s’agit d’inventer, il ne possède plus rien qui le caractérise lorsqu’il arrive à l’exécution; pour l’estimer à sa juste valeur, sans le surfaire ni le rabaisser, le meilleur parti est, je crois, de le considérer comme un décorateur qui tient à l’effet général et ne prend pas grand souci de l’achèvement des morceaux. En nous plaçant à un autre point de vue, nous serions conduit à l’injustice. Si l’Allemagne prend M. de Cornélius pour un peintre de premier ordre, elle se trompe certainement, car il ne possède ni la pureté ni l’originalité du style; mais ceux qui parmi nous voudraient le ranger parmi les esprits vulgaires ne commettraient pas une moindre bévue. La nouvelle Jérusalem et les quatre cavaliers de l’Apocalypse ne sont pas l’œuvre d’une imagination engourdie. Pour traiter de tels sujets, il faut tout à la fois une grande hardiesse et une grande souplesse. Malheureusement M. de Cornélius, si bien doué par la nature, ne comprend ou du moins n’embrasse qu’une partie de son art. La justesse et l’énergie du mouvement, qui sont beaucoup sans doute, mais ne sont pas toute la peinture, suffisent à le contenter. Quant à la forme, il la traite comme une condition accessoire, ce qui équivaut à dire qu’il ne possède pas le sens de la beauté.

M. de Cornélius a vu, il a contemplé assidûment toutes les grandes œuvres du pinceau italien. Sa mémoire en est pleine, et, par un heureux privilège, il transforme ses souvenirs. En se rappelant les compositions des grands maîtres, il trouve moyen de s’en assimiler la substance. Il profite habilement de cette heureuse faculté. S’il ne tire pas du fonds même de sa pensée personnelle toutes les figures qu’il trace, on peut dire cependant qu’il en invente la meilleure partie.