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catholique constituerait une souveraineté indépendante au prince de Condé, soit dans les Pays-Bas, soit dans une partie de ses possessions d’Italie. Un tel acte, qui n’aurait point excédé le droit du roi d’Espagne, n’allait à rien moins qu’à établir dans les meilleures places de Flandre un asile permanent pour les factieux. Mazarin comprit que sur une semblable proposition il fallait ou briser à l’instant, au risque de recommencer une guerre dont l’impopularité aurait fini par l’accabler, ou transiger de bonne grâce en tirant le meilleur parti possible d’une concession devenue nécessaire. Le cardinal eut le bon esprit de faire passer l’intérêt permanent de la France avant celui de son amour-propre. Il offrit de donner à Condé, non le gouvernement de Guienne, dont ce prince avait profité pour faire la guerre à son roi, mais celui de la Bourgogne, vieil apanage de sa maison, en attribuant sa charge de grand-maître au duc d’Enghien, innocent des fautes de son père ; mais, pour prix de cette concession, faite d’un ton qui n’admettait plus de milieu entre une adhésion et une rupture, il demanda qu’aux nombreuses cessions territoriales déjà stipulées l’Espagne ajoutât celle des villes d’Avesnes, de Philippeville, de Marienbourg dans les Pays-Bas, avec le comté de Conflans du côté des Pyrénées. Il exigea de plus que Philippe IV rendît au duc de Neubourg la ville de Juliers, se désistant sur ce point-là du bénéfice des préliminaires qui l’avaient maintenu en possession de cette place.

Ces exigences étaient considérables sans doute ; mais Mazarin avait enlacé son adversaire dans un cercle d’où il fallait désormais sortir par la guerre, et le cœur manquait à l’Espagne pour aller jusqu’à cette extrémité-là. Cette cour céda donc, en s’efforçant de couvrir par les pompes du mariage l’aveu de sa déchéance, et elle paya la rançon de Condé d’une manière digne d’un aussi grand homme. Le jour où ce prince se réconcilia avec la France, il lui fut en effet donné d’apporter à sa patrie autant de profit par le prestige de son nom qu’il aurait pu le faire par une victoire.

Le traité des Pyrénées fermait glorieusement pour Mazarin une carrière dans laquelle s’étaient accomplies tant de grandes choses. Quelques mois plus tard, le traité d’Oliva faisait participer le nord de l’Europe à la paix que venait d’assurer aux puissances méridionales l’union de Louis XIV et de l’infante Marie-Thérèse. Les aspirations de liberté politique qui avaient si vivement agité le monde au début de la carrière du cardinal étaient partout vaincues ou comprimées. En France, la monarchie absolue l’avait définitivement emporté ; en Angleterre, la restauration des Stuarts était opérée ; en Italie, l’Espagne avait triomphé de la démocratie à Naples et de l’aristocratie sicilienne à Païenne ; en Danemark enfin, le despotisme venait