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Dürer et de Hans Holbein, nous aurions lieu d’être étonné en voyant le maître berlinois aborder de tels sujets; mais en consultant le passé, nous sommes à l’abri de l’étonnement. M. de Cornélius, avec des facultés moins puissantes, marche dans la voie d’Albert Dürer et d’Holbein. Il se préoccupe de l’idée sans prendre grand souci de la forme. Il fait preuve en mainte occasion d’une sagacité singulière, il saisit et il indique des rapports inattendus qui révèlent chez lui «ne grande finesse d’esprit; mais il ne tient pas assez de compte du plaisir des yeux. En cela, il demeure fidèle aux origines et aux traditions de l’école dont il est aujourd’hui un des plus glorieux représentans.

J’ai toujours pensé que la tradition chrétienne est une des sources les plus fécondes auxquelles puisse s’adresser la peinture. Toutes les galeries que j’ai visitées m’ont confirmé dans cette opinion. Cependant je ne crois pas que toutes les parties de la tradition chrétienne offrent au pinceau le même avantage. Si les livres de Moïse sont une mine sans fond, dont les filons se prolongent à l’infini, il n’en est pas de même des prophètes, ni surtout de l’Apocalypse. 51. de Cornélius interroge avec une égale ardeur, une égale assiduité, toutes les parties de cette tradition, et il lui arrive ce qui devait lui arriver : il n’est pas toujours compris selon la mesure de son espérance. Qu’il s’en étonne, je le comprends, car un esprit habitué à la réflexion croit volontiers que tous les esprits appelés à le juger ont les mêmes habitudes et la même énergie; mais s’il se plaignait, tous les torts seraient de son côté. Il y a des sujets, excellens pour la poésie, que la peinture n’aborde jamais sans danger, sans risquer un échec. De ce nombre sont les sujets fournis par les prophètes et l’Apocalypse.

Toutefois il n’est pas permis de traiter avec indifférence, avec dédain, ces hardies tentatives du génie germanique. Lors même qu’il sort du domaine de la peinture en croyant y demeurer, il y a toujours dans sa méprise et dans sa témérité quelque chose qui nous intéresse et qui sollicite notre attention. Les œuvres de M. de Cornélius sont l’effort d’une imagination puissante. S’il n’a pas dans son style l’élévation et la pureté d’Owerbeck, il se recommande à nous par d’autres qualités, et en particulier par l’abondance de l’invention. Familiarisé depuis longtemps avec les maîtres de l’Italie, dont il connaît tous les secrets, il ne s’effarouche d’aucun problème, et ne dira jamais, à propos d’un sujet nouveau, d’un sujet encore vierge, ce que disait Fogelberg : « Je ne le traiterai pas, car les anciens ne l’ont pas traité. » Maître de sa pensée, une fois qu’il en a sondé toute la signification, il ne s’en défie plus; il croit fermement qu’il lui sera donné de la manifester tout entière. Son espoir ne se