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regard comment et pourquoi l’esprit de la réforme marcha fatalement à la proscription des arts du dessin. C’est que les causes de la guerre religieuse suscitée par les prédications de Luther ne sont plus pour nous qu’un sujet d’étude, et que les passions qui armaient les réformateurs n’ont pas d’accès dans notre âme; mais reportons-nous aux premières paroles de colère et de défi prononcées dans la chaire de Wittenberg, suivons Luther à la diète de Worms, et nous comprendrons sans effort l’aversion de la réforme pour la peinture et la statuaire. Tout ce qui, dans la religion catholique, parlait aux sens, à l’imagination, tout ce qui popularisait le côté poétique de la tradition chrétienne, devait être battu en brèche comme un des ouvrages avancés de l’ennemi. Ainsi les images des saints, la représentation des scènes de l’Ancien et du Nouveau-Testament, excellentes selon la foi catholique, n’étaient, selon la foi réformée, que des inventions impies; auxiliaires de la religion selon la cour de Rome, elles devenaient pour les novateurs de l’Allemagne un danger dont il fallait délivrer à tout prix les consciences. En un mot, la peinture et la statuaire n’étaient à leurs yeux que des formes de l’idolâtrie. Il ne faut donc pas s’étonner que la réforme les ait proscrites comme des instrumens de perdition. Il nous est facile aujourd’hui de condamner cette sentence; mais si l’histoire ne la justifie pas, elle l’explique du moins très clairement.

Après avoir langui pendant les guerres religieuses, la peinture et la statuaire en Allemagne essayèrent de se relever en imitant tour à tour la Belgique et la France, mais cette double imitation ne leur fut pas d’un grand profit; l’école germanique s’énerva et perdit toute originalité. Au lieu de demander conseil à Rubens, à Nicolas Poussin, elle voulut les copier servilement : elle s’absorba et disparut dans les modèles qu’elle s’était donnés.

Vers la fin du siècle dernier, Winckelmann, Lessing et Mengs tentèrent de ramener l’école allemande dans la voie de la vérité. Un seul moyen se présentait à eux : c’était de reporter les esprits vers la Grèce et l’Italie, vers la renaissance et l’antiquité. On sait ce qu’ils ont fait pour cette cause. Les travaux archéologiques de Winckelmann, surpassés par ceux d’Ottfried Müller, ont eu et gardent encore leur importance. Si dans ses écrits la science n’est pas toujours présentée avec la simplicité qui lui convient, il ne faut pas oublier qu’il s’agissait alors de frapper vivement les imaginations, et que la vérité nue n’aurait pas réussi aussi sûrement que la vérité ornée. Winckelmann le savait bien, et s’il a parfois abusé de la rhétorique, s’il lui est arrivé de prendre l’emphase pour la grandeur, il faut lui rendre cette justice, qu’il a beaucoup fait pour le redressement du goût public, non-seulement dans son pays, mais dans l’Europe