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sculpteur de Nuremberg, je lui laisse encore une part assez belle. Pour contrôler mon opinion, qu’on prenne au hasard trois figures dans le tombeau de saint Sebald, dans les portes du baptistère de Florence ou dans les bas-reliefs de la fontaine des Innocens. Pour la partie expressive, Pierre Vischer n’a rien à redouter de ces deux terribles rivaux; mais dans le domaine de la beauté pure, il faut qu’il s’incline devant eux. Les Allemands qui ont visité la France et l’Italie rendront pleine justice à mon impartialité. J’admire sincèrement Pierre Vischer, je vois en lui l’égal d’Albert Dürer et de Hans Holbein; mais je trahirais la cause de la vérité, je mentirais à toutes mes convictions en faisant de lui l’égal de Ghiberti et de Jean Goujon.

Toutefois l’auteur du tombeau de saint Sebald, quoique inférieur à Jean Goujon et à Ghiberti, est un des noms les plus glorieux de l’Europe. Dans la sculpture allemande, il domine tous les autres, et mon intention n’est pas de le rabaisser; mais pour juger équitablement le concours ouvert à tous les artistes du monde, il faut se placer à un point de vue qui permette d’embrasser l’histoire entière de l’imagination, et c’est là précisément ce que j’essaie de faire. J’interroge avec soin le passé esthétique de chaque nation, afin de mieux comprendre le génie de ses artistes vivans. De même que j’ai demandé à Reynolds et à Hogarth le secret de Landseer et de Wilkie, je demande à Holbein, à Albert Dürer, à Pierre Vischer, le secret de Cornélius et d’Owerbeck, de Schadow et de Kaulbach, de Rauch et de Danneker. Je n’espère pas avoir toujours raison : qui oserait concevoir une telle espérance? mais du moins je ne veux rien négliger pour me placer dans les conditions de l’équité, et afin d’atteindre ce but, après avoir interrogé le passé d’une nation, je le compare au passé des nations voisines. Qu’il s’agisse de l’Angleterre ou de l’Allemagne, il faut toujours choisir comme pierre de touche, comme moyen de contrôle souverain, la Grèce et l’Italie, qui ont servi à l’éducation esthétique de l’Europe entière. En suivant ces deux guides, s’il m’arrive de me tromper, je n’aurai pas à craindre du moins le reproche d’étourderie; je cherche la vérité de bonne foi.

Dès que la réforme eut partagé l’Allemagne en deux camps, la peinture et la statuaire perdirent toute leur splendeur. Cette coïncidence n’a pas besoin d’être expliquée. Pour quiconque en effet connaît l’esprit de la réforme, il est clair qu’elle ne pouvait tolérer les arts du dessin. En guerre avec la cour de Rome, combattant les abus et la corruption de l’église catholique, elle devait combattre avec une égale ardeur, condamner avec une égale sévérité toutes les formes de l’imagination encouragées et protégées par la cour de Rome. Aujourd’hui que nous sommes séparés des luttes de la réforme par un intervalle de trois siècles, nous ne saisissons pas du premier