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cette double définition, il n’est plus permis de se méprendre sur le sens du mot simplifier.

Holbein, qui multipliait ses œuvres sans relâche, n’a jamais renoncé au côté anecdotique du modèle; aussi ses portraits jouissent-ils en Europe d’une immense renommée, parfois même il a été proclamé en ce genre supérieur à tous les maîtres. Si l’on veut considérer ses portraits comme des documens purement historiques, l’éloge n’a rien d’exagéré, car il n’y en a pas un qui ne s’accorde parfaitement avec les témoignages écrits. Si, au lieu de les étudier comme documens, on les estime comme œuvres de peinture, la question change d’aspect, et la louange décernée à Holbein n’est plus l’expression de la vérité. A qui fera-t-on croire en effet que les portraits de Monna Lisa et de la maîtresse du Titien ne sont pas plus beaux que le portrait d’Érasme? Ce qui établit la supériorité du Florentin et du Vénitien sur le maître de Bâle, c’est précisément leur dédain pour l’imitation littérale. Ils ont ajouté au témoignage de leurs yeux le travail de leur pensée, et pour avoir négligé cette dernière condition, Holbein demeure au-dessous d’eux.

Toutefois, s’il ne peut lutter ni avec Léonard ni avec Titien, il lui reste encore une part assez belle. Il est, pour l’Europe entière comme pour l’Allemagne, une des expressions les plus vigoureuses de l’intelligence humaine à l’époque de la renaissance. On connaît le mot de Henri VIII aux seigneurs de sa cour, qui se plaignaient à lui de l’orgueil d’Holbein : « Avec sept paysans, je puis faire autant de seigneurs; avec vingt de vos pareils, je ne ferais pas un Holbein. » Les louanges des rois ne sont pas toujours d’une exacte vérité, parfois ils se méprennent sincèrement, parfois aussi ils se trompent à bon escient; mais la postérité a ratifié les paroles de Henri VIII. Le peintre qui a conçu la Danse des Morts n’a pas besoin d’être défendu contre ceux qui lui reprocheraient son orgueil. Sans vouloir rabaisser le mérite de la modestie, il ne faut pas méconnaître non plus les bienfaits de l’orgueil. Il est bon qu’un peintre habile sache ce qu’il vaut et ne songe pas à le cacher, car cette conscience de sa force le soutient au milieu des épreuves les plus difficiles. L’orgueil inspiré par les œuvres accomplies n’est-il pas d’ailleurs le plus légitime de tous les orgueils? Dans l’intérêt commun, ne devons-nous pas l’encourager, puisque les grands hommes suscitent en nous de grandes pensées et sont notre joie la plus pure?

Avant de commencer le tombeau de saint Sebald, qui a établi sa renommée, Pierre Vischer avait visité l’Allemagne, la France et l’Italie. Il était donc placé dans une condition meilleure que ses devanciers; il avait consulté à Rome et à Florence les monumens de l’art antique. A peine rentré à Nuremberg, sa patrie, il voulut mettre à