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roi, et sa réintégration dans la plénitude de ses biens, honneurs, charges et gouvernemens ; mais Mazarin, représentant convaincu et victorieux de l’autorité monarchique, se refusait avec autant de raison que de persévérance à cette réhabilitation, entendant ne rouvrir les portes de la France au prince qui l’avait si longtemps combattue qu’en vertu de lettres d’abolition, dont le seul effet aurait été de lui rendre ses biens personnels. L’obstacle fut insurmontable pendant trois ans ; peut-être l’aurait-il été longtemps encore sans l’alliance que Mazarin parvint à conclure avec l’Angleterre, et sans un expédient dont l’habileté est moins contestable que la convenance. Il résolut de faire à la régente de Savoie des ouvertures, avidement accueillies par cette fille de Henri IV, et de simuler un projet de mariage entre Louis XIV et sa jeune cousine. On sait que Marguerite de Savoie, déjà saluée reine de France, fut conduite à Lyon par sa mère, et que le cabinet de Madrid, voyant s’évanouir la chance d’une paix qui lui était si nécessaire, expédia en toute hâte un agent secret à Mazarin, pour offrir l’infante en acceptant toutes les conditions antérieurement proposées par le ministre.

Les difficultés étaient levées : il n’y avait plus qu’à donner une forme à l’accord destiné à rendre la paix au monde, en constatant enfin l’irrévocable suprématie acquise par la France. L’heureuse fortune de Mazarin lui valut l’honneur insigne que son génie n’avait pu assurer à Richelieu. Avec un appareil inconnu jusqu’alors, les ministres des deux cours, dont l’une résumait toutes les grandeurs du passé, l’autre toutes celles de l’avenir, s’acheminèrent vers la frontière. Dans une île ignorée, limitrophe des deux empires, s’ouvrirent des conférences, retardées et plus d’une fois suspendues par les puérilités d’un cérémonial dont l’esprit très libre de Mazarin fait en toute occasion bonne justice, mais dont les minuties ne déridèrent jamais le flegme espagnol, heureux de dissimuler sous la stricte égalité dans la forme l’inégalité dans la puissance.

En abordant le premier ministre de Philippe IV, le cardinal s’attendait à n’avoir à rédiger qu’un contrat de mariage et un traité dont les bases avaient été fixées d’avance. On était d’accord en effet, et sur l’union royale, avec la clause des renonciations, moyennant une simple dot en argent, et sur les rétrocessions faites par la France à l’Espagne, et sur les territoires cédés par celle-ci dans les Pays-Bas et aux frontières des Pyrénées ; mais l’écueil contre lequel on s’était déjà brisé reparut tout à coup, et durant quatre mois l’Europe retomba dans des perplexités dont les lettres du cardinal retracent le tableau saisissant et mobile[1]. Philippe IV avait prescrit à son ministre

  1. La correspondance diplomatique de Mazarin s’ouvre le 29 juin pour finir au7 novembre 1659, jour de la signature du traité. Voici quelles furent les principales dispositions de ce grand acte.
    Le traité des Pyrénées contient cent vingt-quatre articles. Les premiers déterminent les conditions du mariage le Louis XIV avec l’infante Marie-Thérèse, laquelle, moyennant le paiement d’une dot de 500,000 écus d’or, renonce, conjointement avec son époux, à tout droit de succession sur les états du roi d’Espagne, par quelque titre que ce puisse être (art. 1er à 35).
    L’Espagne cède à la France tout l’Artois, à la réserve de Saint-Omer et Aire. Elle cède en outre dans le comté de Flandre Gravelines, Bourbourg. Saint-Venant et leurs dépendances ; dans le comté de Hainault, Landrecy et Le Quesnoy avec leurs bailliages et annexes ; dans le duché de Luxembourg, Thionville, Montmédy, Damvilliers, Ivoy, Chevaucy, Marville et leurs dépendances ; dans le pays entre Sambre et Meuse, Marienbourg, Philippeville et Avesnes, enfin elle abandonne les comtés du Roussillon et de Conflans (art. 35 à 43). — La France, de son côté, restitue à l’Espagne toutes les places et territoires non compris au traité et qu’elle occupe en Bourgogne, dans les Pays-Bas, en Italie, etc. Par l’article 60, la France s’engage à ne donner aucune assistance directe ou indirecte au roi de Portugal contre l’Espagne. Enfin d’autres dispositions règlent les intérêts des ducs de Lorraine, de Savoie et de Modène.