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ils ne laissent rien à l’inconnu. Cependant, qu’on ne s’y trompe pas, ce n’est point là toute la Hollande. Les polders ont fait Gérard Dow, van Ostade, Paul Potter, Ruysdael, Cuyp; les dunes ont fait Rembrandt. Les dunes sont le désert. Là, on retrouve cette vigoureuse opposition des ombres et des lumières, ce caractère sauvage et déchiré, cette végétation inculte, ces montagnes, ces gorges, ces précipices qui ont donné un style au plus espagnol des peintres hollandais. Telle partie des dunes ressemble en effet à une sierra. Cette mer de sable furieuse et solide, recouverte d’une fauve végétation de thyms, de genêts, de bruyères (sorte de forêt vierge en miniature); ces côtes, dont la force réside, comme celle de Samson, dans la chevelure; ces goélands, ces courlis, ces mouettes, ces grands corbeaux qui passent, les ailes étendues, sur la tête des dunes, puis, entre les sommets de ces Alpes relatives, là bas, un coin de mer flamboyant et poli comme une lame de sabre, tout cela révèle le côté énergique du caractère hollandais. On comprend alors Ruiter et tous ces étonnans marins, dont la race n’est point éteinte dans la Néerlande. Leur intrépidité semble d’autant plus grande, qu’elle est candide. Le marin hollandais se trouve aussi à son aise sur mer que sur ses canaux. On le voit souvent traverser sur des bateaux frêles et ruinés des mers périlleuses, sans même se douter de son héroïsme. Les tempêtes lui sont familières, il a vécu avec elles dès son enfance, et l’on oserait presque dire qu’il les ignore à force de les vaincre. Les dunes donnent bien le sentiment de l’énergie virile, mais en même temps il n’est pas rare de trouver sur le sable presque nu, à quelques pas de la mer, une petite fleur que le vent a semée, image de l’amour de la patrie et de l’amour de la famille qui s’allient dans le cœur des rudes matelots hollandais au courage stoïque.

Une influence a dû contribuer à endurcir physiquement les enfans de la Néerlande, c’est le climat. Ce climat n’est pas précisément très rigoureux, mais il est humide et inconstant. Il ne faut pas perdre de vue qu’ici on vit sur la mer. La météorologie de la Hollande est particulière comme son histoire, comme son origine, comme ses mœurs. Au printemps, une belle journée s’annonce le plus souvent par un brouillard froid qui s’attache aux extrémités des branches, où il forme de petits cristaux. Les arbres avec leurs rameaux dépouillés et leurs fines nervures blanches apparaissent alors comme des stalactites gigantesques. Vers huit ou neuf heures du matin, ces cristaux fondent sous le soleil, et la forêt construite par le givre tombe en pluie. Les nuages laissent plus volontiers qu’ailleurs, surtout dans les nuits froides, transparaître la lune. On dirait des îlots de glace qui passent comme des verres dépolis devant une lumière.