Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 11.djvu/789

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pour le service des passagers. Les classes riches ou affairées dédaignent ce mode de locomotion comme trop lent ou trop vulgaire, mais elles perdent ainsi des beautés de paysage que la vitesse ne remplace pas. Gardez-vous en Hollande des chemins de fer! Aller en chemin de fer, c’est parcourir le pays, ce n’est point voyager. Ceux qui ne regardent pas le temps consacré à la joie des yeux comme un temps perdu, les poètes, les artistes, les contemplateurs de la nature ou des mœurs locales, préféreront toujours ces barques lentes et rustiques aux wagons ailés.

A Dieu ne plaise que nous voulions ici faire le procès à la vapeur, dont nous admirons au contraire les services ! mais la Hollande est de tous les pays de la terre celui où, à cause de la richesse des canaux, on pourrait le plus aisément se passer des locomotives. Ailleurs les voies navigables n’ont jamais pu soutenir la concurrence avec les voies ferrées : dans les Pays-Bas, la plus grande partie des transports a continué de se faire par eau, et ce mode de roulage économique répondra longtemps encore à la majorité des besoins. La plupart des services qui se font dans d’autres endroits par des charrettes se pratiquent ici par les bateaux. Le jardinier conduit lui-même au marché sa barque chargée de légumes, de fruits ou de fleurs, comme dans le midi de la France on conduit son âne. Toute cette verdure, toute cette richesse printanière, arrangée avec un sentiment très vif de la couleur, fait vraiment plaisir à voir. A Amsterdam, à l’époque des déménagemens, les meubles vont d’un quartier de la ville à l’autre par les canaux; les chaises et les fauteuils, rangés avec une certaine symétrie, semblent attendre des visiteurs. Ces salons sur l’eau se promènent au milieu de la foule, qui ne les regarde même pas. Le lait vient à Amsterdam des campagnes environnantes par la même voie. Le matin vers cinq ou six heures, et l’après-midi vers trois heures, le canal de la Nord-Hollande (Noord-Hollandsh kanaal), dont plus d’un fleuve envierait la largeur, voit arriver ou s’en retourner des bateaux chargés de seaux de chêne, avec des anses et des cerceaux de cuivre. Les laitières qui se pressent sur ces bateaux sont souvent jeunes et jolies; leur grand chapeau de paille luisante, dont le bord est légèrement retroussé sur le devant et le derrière de la tête, leurs larges boucles d’oreilles, leur collier de gros grains de corail, tout cela relève encore la fraîcheur de leur teint. Les bateaux de lait se rencontrent quelquefois dans les canaux d’Amsterdam avec les bateaux d’eau qui viennent du côté d’Utrecht. Telle est en effet une des singularités de cette Venise du Nord : assise au milieu des ondes, elle n’a pas de quoi boire. Il a fallu que des bateaux plats, véritables porteurs d’eau, vinssent à son secours jusque dans ces derniers temps, où l’industrie humaine est allée chercher l’eau des pluies dans le sable des dunes.