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habitudes du travail, par les devoirs du foyer domestique et par les influences d’un climat qui conseille en tout la tempérance.

Ce qui a le plus frappé les étrangers dans le caractère hollandais, c’est le phlegme. On ne doit point s’étonner qu’un peuple accoutumé à enchaîner les forces tempétueuses de la nature soit maître de lui-même et de ses passions. Des gens qui dorment, qui travaillent, qui s’amusent avec des fleuves et des marées roulant au-dessus de leur tête, ne s’effraieront point beaucoup des agitations de leurs voisins ni de leurs propres déchiremens intérieurs. Que le sol politique de l’Europe tremble ou s’enfonce, il y a longtemps qu’ils ont vu chez eux la terre s’affaisser et lutter contre les orages sans disparaître. La question est d’ailleurs de savoir si ce phlegme est un tempérament ou un voile. Chez quelques Hollandais, c’est, je l’avoue, un voile épais; mais quand ce phlegme se déchire, on voit apparaître une énergie et une force d’âme singulières. Ce qui développe surtout dans la race hollandaise ces élans virils, c’est le patriotisme. Quand le sentiment national se trouve remué par les événemens au cœur de la race néerlandaise, on voit sortir des prodiges. Toute l’histoire du pays est là. Vienne la domination étrangère, les Hollandais la repousseront avec les mêmes moyens simples et infaillibles qu’ils emploient pour se délivrer des eaux. On verra cette petite nation, presque imperceptible au XVIe siècle sur la carte du monde, élever des digues, des remparts contre la plus formidable puissance qui fût alors. Dans leur lutte contre les Espagnols, les Hollandais aimeront mieux pactiser avec la mer qu’avec l’invasion. Ce territoire qu’ils ont créé avec tant de peine, ils seront un instant sur le point de l’inonder, prêts ainsi à détruire leur ouvrage et à s’ensevelir eux-mêmes dans les eaux plutôt que de vivre sur un sol déshonoré par les pas de l’étranger. Ce patriotisme calme, mais indomptable, on le retrouve à toutes les époques; il est dans le sang hollandais, témoin ce jeune van Speyk, qui, en 1831, mit lui-même le feu aux poudres de son vaisseau pour ne pas voir le pavillon national souillé par des mains belges[1].

Quoique capable d’enthousiasme et de dévouement, la race néerlandaise est par-dessus tout une nation pratique. Les Allemands reprochent aux Hollandais de manquer d’idéal. Cette différence dans la tournure d’esprit des deux peuples est encore une conséquence et une empreinte des milieux extérieurs. On ne combat point les

  1. Van Speyk avait été élevé dans la maison des orphelins civils, à Amsterdam. On conserve dans l’établissement son souvenir avec une espèce de culte. Nous avons vu sur un des murs de l’édifice une table de marbre blanc qui porte le nom de ce marin héroïque, la date et la cause de sa mort, et qui revendique pour l’établissement l’honneur de lui avoir tenu lieu de père.