territoire, qui, malgré d’admirables travaux agricoles, ne produit encore les moyens de subsistance que dans une proportion insuffisante avec les besoins des habitans. On raconte que les ambassadeurs espagnols chargés en 1608 de négocier la fameuse trêve avec les Hollandais virent près de La Haye plusieurs hommes modestement vêtus sortir d’un petit bateau, s’asseoir sur l’herbe et prendre leur repas avec du pain, du fromage et de la bière qu’ils tirèrent de leur bissac. Comme les Espagnols demandèrent quels étaient ces paysans, on leur répondit que c’étaient les députés des états. Le propre du caractère hollandais, même quand il s’élève vers la grandeur, est de rester simple. On montre dans la ville de Delft l’ancienne et austère demeure du Taciturne, dont on a fait une caserne. À Amsterdam, la maison de l’amiral Ruiter, à La Haye celle de Jean de Witt existent encore. On reste frappé d’admiration en considérant ces petites maisons qui ont eu l’honneur de loger de si grands citoyens, quand il y a tant de grandes maisons qui en logent de si petits. C’est grâce à cette simplicité de mœurs que la république batave a vécu florissante, que ses pavillons ont été la terreur des mers, que son commerce et ses victoires ont pour ainsi dire étendu la Hollande sur les deux mondes. Ces habitudes se sont modifiées avec le succès et par l’exemple des nations voisines. La Hollande est pourtant encore l’endroit de la terre où l’opulence a le moins de faste. Les écus s’y entassent sur les écus comme la neige sur la neige, sans brait. En France, l’ambition du négociant est de faire fortune et de se retirer ; le négociant hollandais, lui, continue ses affaires, même quand cette fortune est atteinte. Sa manière de vivre n’en est point considérablement changée : il conserve au sein de la prospérité une médiocrité de goûts qui ferait croire que son but n’était pas la richesse. Cette réserve a été diversement jugée : la plupart des voyageurs et des historiens l’ont attribuée à un sentiment de parcimonie. Il faut pourtant reconnaître que cette race économe se montre capable, dans certaines occasions, de nobles et admirables sacrifices. Elle a même quelquefois ses jours de prodigalité. Dans les campagnes, par exemple, la population vit très frugalement ; mais quand le paysan hollandais marie sa fille, il donne un repas de noces et fait des dépenses souvent considérables. Ces fêtes à l’occasion des mariages étaient autrefois entrées dans les mœurs de la classe moyenne au point qu’il fallut en réprimer l’excès par une loi. Le nombre des violons, la valeur des cadeaux de noces, le prix du couvert pour chaque convive, tout était réglé, sans doute parce que la libéralité des citoyens, au moins dans ce cas-là, avait dépassé la mesure. Ce n’est donc pas à des instincts parcimonieux qu’il faut attribuer cette modération antique, c’est à une vie réglée par les
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