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Aujourd’hui à cette grandeur maritime et commerciale a succédé une prospérité plus modeste, conforme à la situation nouvelle où se trouve le pays. Le contraste entre l’époque ancienne et l’époque actuelle se traduit en traits pittoresques dans la physionomie de quelques villes de la Hollande. A Amsterdam, par exemple, la vive empreinte du passé se retrouve encore. On ne contemple point sans respect ces magasins, vieilles constructions, gardiennes sévères des produits et des trésors de deux mondes. La Bourse, solidement assise près du port, mêle le mugissement des affaires au mugissement des vagues qui s’éteint. Cette Tyr moderne regarde avec une tristesse royale sa couronne tombée dans les eaux; mais, si elle n’est plus la maîtresse de l’Océan, elle est toujours une des villes les plus connues des vaisseaux qui courent sur les mers.

La physionomie des villes de la Hollande doit appeler l’attention de quiconque cherche à comprendre le caractère national. C’est à Amsterdam et à Rotterdam qu’on peut se faire une idée du travail de cette population énergique et patiente. Ces deux villes, quoique vivant du commerce, sont séparées par des intérêts, des mœurs et des besoins différens. L’existence d’Amsterdam révèle à elle seule le génie de la vieille dominatrice des mers. La grande cité hollandaise s’élève du sein des eaux, mariée à l’Y, qui l’enveloppe de ses deux bras. Les caractères qui la distinguent sont la puissance et la grandeur; sa forme est une demi-lune. Divisée en quatre-vingt-quinze îles, liées ensemble par deux cent quatre-vingt-dix ponts ou écluses, Amsterdam déploie en éventail ses rues doublées de canaux et plantées d’arbres. Assise au milieu d’un ancien marais, ses maisons portent généralement sur des pièces de bois, en sorte que la ville retournée présenterait l’étonnant spectacle d’une forêt dépouillée de branches et de feuilles. Le palais, anciennement l’hôtel de ville, édifice lourd, mais grandiose, construit à certains égards dans le style égyptien, repose à lui seul sur treize mille six cent cinquante-neuf mâts. Ces mâts, qui ont une longueur de dix ou treize mètres, viennent en général de la Norvège. On les enfonce en terre au moyen d’une machine qu’on appelle en hollandais heiblok. Vous voyez quelquefois, surtout dans le voisinage du port, une douzaine d’ouvriers dont les mouvemens, en quelque sorte rhythmiques, sont mesurés à temps égaux par le chant et dirigés par un chef : ils soulèvent avec des cordes un énorme bloc qui, parvenu à une certaine hauteur, se détache et tombe d’aplomb sur la tête du mât. A chaque coup, l’arbre descend, jusqu’à ce que, la profondeur du terrain marécageux étant percée et le sol ferme étant atteint, il s’arrête. C’est sur cette forêt souterraine qu’on bâtit. Une telle disposition a fait dire à Érasme qu’il avait vu «une ville dont les habitans