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eaux avait exigé des dépenses énormes, et la mer étant un ennemi qu’on ne lasse jamais, il fallait continuer de vivre avec elle sur le pied de guerre. S’enrichir était donc pour la Néerlande une question d’existence, to be or not to be. Cette richesse, les populations bataves ne pouvaient pas la demander à un territoire restreint, à un sol créé de main d’homme, et qui, malgré tous les miracles d’une agriculture vaillante, se refusait à produire le grain en quantité suffisante pour nourrir ses habitans. La Hollande ne pouvait non plus demander de grandes ressources à ses manufactures et à ses fabriques. Il lui manquait pour cela les deux élémens qui sont l’âme de l’industrie, le fer et le charbon. Elle n’avait rien à attendre des mines : le sol néerlandais est une contrée géologiquement pauvre. Dans cet état de choses, il a fallu que la Hollande se livrât au commerce. La position était magnifique : les Pays-Bas, étant le rendez-vous des grands fleuves qui traversent l’Allemagne, la France, la Belgique, tenaient, comme on l’a dit, la navigation du Rhin, de la Meuse et de l’Escaut par la bouche. A l’intérieur, cet ancien marais, drainé par une multitude de canaux, était merveilleusement favorable à la circulation des produits. A l’extérieur, la voie à l’acquisition des richesses se trouvait toute tracée; la mer était là, seulement il fallait l’ouvrir. Des forêts de l’Allemagne descendirent par le Rhin des arbres dont on construisit des flottes. Après avoir vaincu chez eux l’Océan, les Hollandais le mirent à contribution pour leurs entreprises lointaines. Ce peuple, dont les élémens étaient la conquête, se trouvait préparé d’avance à la navigation. Des vaisseaux d’une forme lourde, mais qui tiennent admirablement la mer, s’élancèrent montés par d’intrépides matelots. Le marin hollandais se sentait, pour ainsi dire, non moins assuré sur ce sol de bois que sur celui de sa flottante patrie. Les mers furent disputées. Alors de cette poignée d’hommes qu’on aurait cru froids et apathiques sortit toute une pléiade d’héroïques marins, les Piet Hein, les Tromp, les Ruiter, les Evertsen, et tant d’autres qui balayèrent de la surface des eaux les pavillons ennemis, comme l’ouragan dissipe les nuages. L’Océan est le lien des races, des climats et des échanges. La république batave se chauffa au soleil de l’Inde; ses blonds enfans brunirent leur peau blanche au contact des noires populations de l’Afrique; sur presque toutes les côtes de l’ancien et du Nouveau-Monde, les Hollandais établirent des comptoirs, des factoteries, centres d’une action politique et militaire qui rayonnait plus ou moins dans l’intérieur de ces diverses contrées. On vit alors jusqu’où une volonté forte et soutenue peut porter la fortune d’un petit état. La Hollande était devenue l’entrepôt du monde, et les épices, le sucre, le thé, le café, la soie, le diamant, le grain, toutes les richesses affluaient dans ses ports.