pas sans avoir beaucoup d’analogie avec celles qu’a subies notre école de peinture, et qui se rattachent plus qu’on ne le croit aux péripéties de la civilisation italienne, — j’ai besoin de quelques jours de recueillement et de beaucoup d’indulgence.
— Nous t’accordons tout ce que tu demandes, répondit le père de Beata. Je ne suis pas fâché que tu prouves devant ces nobles étrangers qu’aucune branche des connaissances humaines n’a été négligée dans notre patrie.
— Oh ! ce sera charmant, dit la belle Badoer, et je retiens ma place d’avance.
— Nous la retenons tous, répondit le comte de Narbal.
Le dîner s’acheva au milieu d’une causerie bruyante, traversée de courans divers qui laissaient à chaque convive la liberté de choisir l’interlocuteur préféré. Lorenzo, qui se trouvait à côté du comte de Narbal, se sentit attiré vers cet esprit sage et ferme qui, avec plus d’expérience que ne pouvait en avoir le jeune Vénitien, avait exprimé des sentimens politiques assez en accord avec les aspirations de ce caractère passionné, dont l’amour enchaînait les instincts.
Le bruit se répandit bientôt à Venise qu’une brillante conversazione devait avoir lieu au palais Zeno. On disait que l’abbé Zamaria, provoqué par les railleries de quelques émigrés français, avait pris l’engagement de prouver que Venise avait eu des institutions musicales qui ne le cédaient en rien à celles des autres états de l’Italie. L’esprit et le savoir de l’abbé, la nature du sujet qu’il avait à traiter, excitèrent au plus haut degré la curiosité publique. Tout le monde voulut assister à une réunion qui avait pour objet de glorifier le sentiment national, d’autant plus vivace qu’on avait conscience de la situation périlleuse où se trouvait la république. Les invitations furent très nombreuses, et jamais on ne vit dans un palais de Venise une réunion plus imposante, composée d’élémens aussi divers. Indépendamment des convives qui avaient inspiré l’idée de cette fête, on y avait admis tous les étrangers de distinction, les familles illustres, les poètes, les savans, les artistes et les beaux esprits qui remplissaient alors cette ville, centre lumineux des plus étourdissantes folies. Bertoni, Furlanetto, l’abbé Sabattini, maître de chapelle à Saint-Antoine de Padoue, où il avait succédé au père Valotti ; Guadagni, Pachiarotti s’y trouvaient, ainsi que Canova, Gritti, Buratti, Gozzi et Alfieri, arrivé à Venise depuis quelques jours. La Vicentina avait trouvé le moyen de se faire inviter aussi par l’abbé Zamaria avec Grotto et Zustiniani. Le départ de Lorenzo fut retardé et remis après la fête, qui semblait avoir été organisée tout exprès pour mettre le comble à la félicité des deux amans.