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Addio, campagne amene,
Dove già lieto pascolai l’agnelle !


répéta l’abbé Zamaria, presque en colère.

— Que chantes-tu là, l’abbé? dit le sénateur.

— Je dis que la musique s’en va à tous les diables, et que je ne me doutais guère que depuis six ans j’élevais un diplomate.

— Il cultivera la musique pour son plaisir, répondit le sénateur. Marcello était un grand seigneur de Venise, ce qui ne l’a pas empêché de devenir un compositeur de génie. — Puis le père de Beata se tourna vers le camériste Bernabo, qu’il venait de sonner. — Faites monter ma maison, lui dit-il. Les domestiques des deux sexes ayant obéi à l’ordre qu’ils avaient reçu, le sénateur, prenant Lorenzo par la main, leur adressa ces quelques mots : — Je vous présente le chevalier Sarti, que je vous ordonne de considérer comme un membre de ma famille. Allez, mon fils, ajouta-t-il ensuite, les yeux fixés sur Lorenzo, car ce titre vous appartient désormais.

Cette scène extraordinaire, que rien n’avait annoncée, dont Lorenzo ni Beata ne pouvaient prévoir le dénoûment, produisit sur eux et sur tous les assistans la plus grande surprise. Lorenzo était comme enivré de ce qu’il venait d’entendre. Il interrogeait des yeux l’abbé Zamaria pour savoir quel sens il devait attacher à ces dernières paroles du sénateur : Allez, mon fils, car ce titre vous appartient désormais. — Serait il possible que le père de Beata, ayant deviné le secret de sa fille, voulût approuver une alliance si disproportionnée sous tous les rapports? Ou bien, par ces paroles affectueuses, le sénateur n’avait-il entendu exprimer qu’un degré plus intime de parenté intellectuelle, une adoption purement politique, sans vouloir confondre la destinée de Lorenzo Sarti avec celle de l’une des plus illustres familles de Venise? Le doute était au moins permis, et Beata elle-même, au milieu du ravissement qu’elle venait d’éprouver, hésitait à croire que le nœud de sa vie pût se délier d’une manière aussi heureuse. Cependant tout le monde dans la maison était à peu près convaincu que Lorenzo n’était devenu le chevalier Sarti que pour s’élever encore plus haut dans l’estime et l’affection du sénateur, qui n’était pas homme à dévoiler brusquement le fond de sa pensée. Dès lors une plus grande liberté s’établit dans les relations de Lorenzo et de Beata, qui se crut au moins autorisée à ne pas mettre autant de réserve dans la manifestation de ses vrais sentimens. Le chevalier Sarti fut présenté successivement à tous les membres de la famille, introduit avec plus de cérémonie dans les maisons amies, chez les Grimani, les Dolfin et les Badoer. On