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l’Angleterre. Que nous voilà loin des romans d’Hannah More et des écrits moraux du dernier siècle ! La confiance, l’assurance qui règne dans ces livres et qui les fait ressembler aux leçons d’un pédagogue enseignant des enfans incapables de le contredire, ou aux sermons d’un prédicateur sûr que ses auditeurs sont en communauté de principes avec lui, qu’il n’a qu’à leur en expliquer la pratique, que ces auditeurs ne peuvent errer que sur des points de détail, cette confiance n’existe pas au même point dans les romans de miss Yonge. On sent vaguement que les cœurs sont plus partagés qu’autrefois, les âmes plus tièdes, et que de nouvelles doctrines prennent lentement la place des anciennes.

Les romans de miss Yonge ne sont point une exception ; la plus grande partie des romans qui se publient chaque année en Angleterre ou en Amérique, surtout lorsque les auteurs sont des femmes, sont empreints d’un sentiment religieux très prononcé. Il ne faudrait pas attribuer aux tendances de l’esprit féminin ce genre de littérature, qui est un des fruits naturels de la civilisation protes- tante, et qui n’a pu s’acclimater dans aucun des pays catholiques, — heureusement pour le goût et la distinction nécessaire des genres, diront les puristes sceptiques, qui prouveront sans peine qu’un roman n’est pas un sermon, et que l’accouplement de ces deux genres ne peut produire que de mauvais romans et de mauvais sermons ; — malheureusement pour l’éducation et les mœurs de famille, diront à leur tour ceux qui cherchent dans la littérature un but d’utilité. Les uns et les autres ont peut-être raison et tort alternativement. Nous ferons remarquer aux premiers que les sentimens religieux font partie du cœur de l’homme aussi bien que les passions les plus mondaines, et qu’à ce titre ils doivent avoir une place dans une peinture de la vie humaine. Quant aux seconds, sans contester la justesse de leur point de vue, nous leur dirons qu’un roman n’est pas précisément un prêche, et que les sentimens religieux ou les questions religieuses, lorsqu’ils se présentent dans un roman, ne doivent pas s’y établir en maîtres, sous peine de faire ressembler ce roman à une allégorie. Le roman, comme le drame, ne connaît que des personnages humains, qui ne sont pas composés d’une seule passion ou d’une seule vertu, mais de plusieurs passions et de plusieurs vertus. Les oppositions que nous présentent les romanciers religieux n’existent point dans le monde sous une forme aussi tranchée que dans leurs récits, les hommes religieux que nous rencontrons dans la vie réelle ne représentent point la religion d’une manière aussi absolue ; les hommes mondains ne personnifient pas aussi exactement l’esprit du monde, ni les hommes vicieux le vice ; ils ne sont point et ne peuvent pas être des symboles, ils sont des hommes. Aucun de nous