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« — L’expérience ne fait que la confirmer en moi. Une femme ne vaut jamais rien lorsqu’il ne s’est pas écoulé quelques années entre son mariage et sa nubilité, et bien plus, il est impossible de savoir ce qu’elle est lorsqu’elle est fraîchement échappée de l’école. Ce n’est pas une femme alors, c’est la matière première d’une femme !

« Arthur rit d’un rire embarrassé.

« — Nous avons par ici mistress Hitchcock par exemple : la connaissez-vous ?

« — Qui ? la dame qui sort avec des chiens de chasse et qui court des steeple-chase ? Je l’ai vue aujourd’hui traverser Whiteford à cheval, et elle a regardé si effrontément dans notre voiture, que la pauvre Violette a été obligée de baisser son voile jusqu’à notre sortie de la ville.

« — Eh bien ! elle s’est mariée lorsqu’elle est sortie de l’école. C’était alors une créature douce, timide, toute craintive, les yeux toujours baissés et rougissant à chaque mot.

« Arthur pensa que sa tante faisait une allusion malicieuse aux regards toujours baissés de sa femme ; il essaya de cacher son embarras en tournant entre ses doigts les glands d’un des coussins du sofa et observa en riant que la timidité de la dame en question devait remonter très haut, et qu’elle l’avait sans doute épuisée tout entière avant qu’il l’eût connue.

« — Nous avons aussi lord George Wilmot, qui s’enfuit avec la fille d’un fermier. Elle fit presque sensation : elle était presque présentable, très jolie et très bien élevée ; mais quel caractère ! On avait coutume de les appeler George et le Dragon. Pauvre homme ! il avait l’air le plus humble !

« — Il y avait un de ses fils dans les dragons, dit Arthur essayant de détourner la conversation ; un gros garçon très lourd.

« — Exactement ; il en était de même de tous les enfans : le fermier du Yorkshire perçait dans toute leur personne, et le pauvre lord George en était si honteux, qu’il était positivement pénible de le voir en compagnie de ses filles. Et cependant la mère avait toute l’apparence d’une grande dame.

« Arthur fit soudainement une remarque sur l’amélioration de la santé de John.

« — Oui, maintenant que cette malheureuse affaire est terminée, nous allons le voir renaître à la vie. Il formera de nouveaux attachemens. Il est très important qu’il soit bien marié, et en vérité nous avons toute raison d’espérer que… — Et elle regarda Arthur avec triomphe et d’un air significatif. »


Tel est généralement le style de conversation des romans de miss Yonge : voici maintenant un échantillon du ton habituel des sentimens religieux qu’elle exprime ; ils sont doux, modérés, plus insinuans que violons, familiers dirons-nous, mais ils n’ont aucun accent très prononcé. Par un de ses caprices d’orgueil, Théodora Martindale s’est aliéné l’affection de son fiancé ; elle va chercher des consolations auprès de sa belle-sœur, qu’elle a maintenant appris à aimer, et qui est pour la jeune fille, naguère si fière, un appui et un soutien dans la vie.