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« — Il est trop tard, Violette, on l’a nommé John. Ils prétendent que j’ai voulu qu’il fût ainsi baptisé.

« — Quoi ! a-t-on eu déjà besoin de le baptiser ? Est-il donc si délicat ? Arthur ! dites-moi : je sais qu’il est bien petit et bien faible, mais je ne le croyais pas malade !

« Arthur essaya de la rassurer en lui donnant de bonnes nouvelles de la santé de l’enfant, nouvelles que la nourrice corrobora ; mais, quoiqu’elle fît tous ses efforts pour croire à ce qu’on lui disait, elle ne se sentit pas rassurée jusqu’à l’arrivée du médecin, qui, sur un billet d’Arthur, avait avancé sa visite du matin. Elle lui adressa tant de questions, qu’il fut tout surpris, lui qui la nuit dernière l’avait quittée si faible qu’elle ne pouvait ni parler, ni même ouvrir les yeux. Il apaisa ses inquiétudes en donnant quelques légères entorses à la vérité ; mais après cette conversation sa conduite envers l’enfant parut avoir changé : elle n’avait plus seulement pour lui les caresses d’une mère, il y avait une sorte de respect réfléchi dans la manière dont elle le regardait, qui lui fit demander par Arthur ce qu’elle étudiait donc sur ce drôle de petit visage.

« — Je pensais combien il est bon, répondit Violette.

« Arthur sourit, mais ne comprit pas la pensée de sa femme. »

Nous croyons sans peine qu’Arthur ne comprit pas, et peut-être, le lecteur ne comprend-il pas davantage le regard de respect que Violette jeta sur son enfant. Cela signifie qu’à l’amour de la mère pour l’enfant était venu s’ajouter le respect pour l’âme chrétienne régénérée par le baptême. La doctrine de la régénération par le baptême vient ici, on en conviendra, se mêler intempestivement aux sentimens naturels d’une mère. Les pensées de religion tombent ainsi d’une manière inattendue dans les romans de miss Yonge, et prennent pour ainsi dire le lecteur par surprise. Cela est charmant quelquefois, car tous ces rayons religieux ne se révèlent pas d’une manière aussi intempestive que dans l’exemple que nous venons de citer ; souvent ils traversent et sillonnent comme des éclairs, présages des orages futurs de la vie, les scènes de bonheur intime et de joie domestique, et mêlent une pensée de mélancolie à la joie de vivre qui anime les heureux de ce monde. Un jour, par exemple, Arthur Martindale surprend au cou de sa femme une petite croix de corail. « — C’est un présent de John, dit-il, je connais cette croix. — Hélène, répondit Violette, avait exprimé le souhait que cette croix fût donnée à quelqu’un qui pût y trouver autant de consolations qu’elle-même y en avait trouvé. — De quelles consolations avez-vous besoin ? — Seulement lorsque je suis insensée. — Je le pense bien ; mais, je vous en prie, quelles consolations peut-on trouver dans un morceau de corail comme celui-là ? — Ce n’est pas le corail, c’est la pensée qu’il suggère, cher Arthur, dit Violette en rougissant et en cachant la croix dans son sein. »