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toujours une nature subalterne. D’un autre côté, la femme qui essaie trop de s’affranchir des pratiques du culte, qui essaie de trop dominer les enseignemens qui lui sont donnés, qui veut trop comprendre au lieu de se contenter de sentir, devient aisément un être choquant, et court un plus grand risque encore, — celui de comprendre imparfaitement et de ne plus sentir qu’imparfaitement aussi. Nous ne sommes pas surpris que Violette eût tant de peine à persuader son mari, Arthur Martindale, d’approcher de la table sainte. Si Arthur n’avait pas de religion, ce n’était évidemment pas par la pratique du culte qu’il pouvait commencer à en avoir.

C’est donc une religion essentiellement féminine que la religion de miss Yonge ; elle a aussi un autre caractère, elle est strictement anglicane. Ses sentimens sont indécis et équivoques, ils manquent de force et de logique. Elle n’a ni l’absolue humilité du catholicisme ni la grave et sérieuse soumission du protestantisme dissident. Elle participe de l’un et de l’autre, mais sans les unir dans un sentiment supérieur. Comme l’église anglicane elle-même, elle est une manière de compromis. Elle s’attache plus que le protestisme pur aux symboles extérieurs, elle attribue une certaine importance aux croix, au choix des prières, elle aime à rêver auprès des anciennes cathédrales, elle a un certain amour pour les madones des peintres italiens. Elle n’a donc pas l’austérité du puritanisme, mais elle n’a pas non plus toute la belle poésie des symboles catholiques, si propres à frapper tout esprit féminin, et cette admirable croyance, la véritable consolation des femmes, la vierge Marie, n’existe pas pour elle. J’ajouterai que cette religion a, comme l’église anglicane, un caractère tory et aristocratique qui est à la longue déplaisant ; elle ne nous entretient que des douleurs heureuses, si l’on peut parler ainsi, de chagrins raffinés et mondains, de souffrances pour lesquelles certainement Jésus n’est jamais venu sur la terre, et de péchés si subtils qu’ils ne méritaient pas, pour être rachetés, le sang d’un Dieu.

Généralement la religion de miss Yonge est toute de sentiment ; elle est présentée comme un baume et une consolation. Miss Yonge ne prêche point et n’entre point sur le terrain du dogme. Pourtant une ou deux fois le dogme théologique perce à travers le sentiment, et cela assez mal à propos. Nous en citerons un exemple où la croyance à un dogme défini et arrêté vient fort peu naturellement se mêler aux affections humaines. L’enfant d’Arthur Martindale vient d’être baptisé à l’insu de sa mère :

« — Y a-t-il longtemps que vous êtes éveillée ?

« — Oui, mais je me suis sentie si à mon aise… J’ai pensé au nom que l’on donnerait à l’enfant.