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amplement racheté ; les scènes familières et gracieuses y abondent et pourraient fournir les plus ravissans sujets de vignettes anglaises. Chaque scène est, pour ainsi dire, une de ces images de keepsake si finement dessinées, remplies de détails poétiques, d’accessoires charmans, de figures plus belles que la réalité, brillantes et polies comme l’acier sur lequel elles sont gravées, froides aussi comme lui. J’ouvre Heartsease, par exemple ; on pourrait prendre chacune de ses pages et les transformer en gravure ; il n’y a pas une ligne qui ne puisse servir de texte à une vignette : première entrevue de John Martindale et de Violette, Violette donnant à manger au paon du parc de Marlindale, M. Fotheringham et Théodora pendant l’orage, il n’y aurait que l’embarras du choix.

La religion de miss Yonge a, comme l’aspect sous lequel elle voit la société, un caractère tout féminin. Cette religion n’a aucune des ardeurs de la controverse, elle ne cherche pas à convertir les incrédules, elle s’applique tout simplement aux devoirs de la vie domestique. Elle suppose une religion déjà préexistante dans le cœur de ceux auxquels elle s’adresse, des instincts qui ne demandent qu’à être dociles, des semences qui ne demandent qu’à germer et à grandir. Elle se rétrécit en quelque sorte dans les étroites limites du foyer et de la chambre nuptiale ; c’est assez dire qu’elle s’adresse à peu près exclusivement à un public féminin. C’est surtout pour la mère tendrement inquiète auprès du berceau de ses enfans, pour la femme délaissée par un mari mondain, volage et imprudent, pour la jeune fille blessée dans ses affections, c’est pour toutes les souffrances secrètes et solitaires du cœur féminin que cette religion a des baumes et des consolations. Quant à la partie masculine de l’humanité, quoique miss Yonge ne l’oublie pas, je crains que ses remèdes moraux ne puissent avoir aucun effet sur sa nature plus rude, et qu’il ne soit besoin, pour opérer sur elle, de cordiaux plus puissans. La religion, chez les hommes, agit d’une manière plus générale et moins directe que chez les femmes ; elle agit chez elles davantage par détails, si nous osons nous exprimer ainsi. Aussi la religion de l’homme consiste-t-elle dans une vue plus large des choses divines et dans l’intelligence du but général de la vie et des desseins providentiels, tandis que la religion de la femme consiste plutôt dans une pratique scrupuleuse, constante des enseignemens moraux de la religion. Les limites entre la religion de l’homme et celle de la femme sont donc plus nettement tranchées qu’on ne le suppose communément, et il faut ajouter que ces limites ne sont jamais dépassées avec impunité. Telle pratique dévotieuse, par exemple, qui chez la femme est naturelle et gracieuse, devient chez l’homme une mièvrerie, quelquefois une demi-hypocrisie, et accuse presque