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bon pour vous que l’a été cet homme, Job ? Viendra-t-il vous voir lorsque vous serez malade, ou vous consoler lorsque vous serez misérable ? Viendra-t-il ?…

« — Non, et même il ne vous donnera pas de vin de Porto pendant les froides soirées d’hiver, n’est-ce pas, vieux farceur ? — Et, riant de son bon mot, Handy se retira avec ses collègues, emportant la toute puissante pétition.

« Lait versé ne peut se ramasser ; c’est un accident irréparable. M. Bunce dut donc se retirer dans sa chambre, dégoûté du spectacle de la fragilité humaine ; Job Skulpit se gratta la tête ; Jonathan Crumple fit de nouveau la remarque que cent livres par an étaient chose fort agréable, et Billy Gazy frotta ses yeux et grommela sourdement qu’il ne savait pas. »


Les pauvres diables, en dépit de toutes leurs velléités de révolte, ne sont pas bien redoutables, et dans une visite à l’hôpital d’Hiram le terrible archidiacre, le docteur Théophile Grantley, a bientôt apaisé la rébellion. De son geste triomphant, il écrase tous ces misérables idiots. « Ah ! vous vous plaignez ! ah ! vous trouvez que vous n’avez pas assez ! mais peut-être aurez-vous moins ; peut-être Mgr l’évêque fera-t-il des changemens ; peut-être votre directeur fera-t-il… — Non, non, mes amis, s’écrie M. Harding, dont le cœur se fendait en écoutant les dures paroles de son gendre, non, je ne ferai jamais aucun changement qui puisse vous rendre plus malheureux tant que je vivrai à côté de vous. » Ce cri explique toute la situation d’âme de M. Harding. S’il a pris l’argent des pauvres, c’est le plus innocemment du monde, sans songer un seul instant qu’il faisait mal ; mais aujourd’hui sa conscience est éveillée depuis qu’on lui a si rudement ouvert les yeux, et elle n’aura plus de repos. Ces huit mille livres illégitimement acquises et dépensées, ce revenu annuel qui avait fait la joie de son foyer, qui avait payé les dépenses de ses publications musicales et les toilettes de sa fille chérie, pèsent sur sa conscience comme un cauchemar. Chaque jour lui apporte quelque tourment nouveau. L’affaire commence à faire du bruit. John Bold est allé à Londres, il a vu les journalistes influens, les membres radicaux du parlement ; l’affaire est maintenant complètement lancée, et voulût-on l’arrêter, on ne le pourrait plus. Le journal le Jupiter vient de faire gronder sa foudre, et un de ses éclats de tonnerre a atteint le pauvre M. Harding. Que va-t-on penser de lui en Angleterre ? Tous les clergymen d’Angleterre vont lire cet article ? Oui, il est maintenant éclairé, cet argent ne lui appartient pas : il abandonnera le bénéfice, de tels scandales sont un poids trop lourd pour son honnête conscience ; mais s’il l’abandonne, que deviendra sa fille ? lui faudra-t-il la voir vivre dans la misère ? Lui, il mendierait joyeusement pour se débarrasser de ce fardeau moral qui l’accable, mais elle… Ah ! si